Nouvelle Donne : Analyse sommaire d’une proposition européenne

La liste Île-de-France de « Nouvelle Donne », le nouveau parti, fondé par Bruno Gaccio et Pierre Larrouturou, issu du Collectif Roosevelt 2012, tenait son meeting au Théâtre de Ménilmontant, samedi 3 mai. La rapidité avec laquelle le mouvement a réuni quelques 8000 adhérents démontre l’intensité du besoin de politique alternative à l’offre disponible, en particulier à gauche.

 

Un fonctionnement moins pyramidal

Un collège de militants obtenu par tirage au sort a auditionné les prétendants et finalement sélectionné les représentants aux Européennes. Ce mode de désignation est le produit d’une réflexion à laquelle le travail en profondeur d’Étienne Chouard n’est pas étranger. Cette réflexion sur un fonctionnement démocratique d’un parti n’est pas le moindre des apports de Nouvelle Donne.

À l’exception de Pierre Larrouturou et d’Isabelle Maurer, tous les fondateurs ont été sorti des listes. Exceptée, la tête de liste d’Île-de-France, les représentants sont ainsi membres de la « société civile » ; ce qui illustre – au moins à gauche – la profondeur du discrédit des professionnels de la politique.

Ce procès citoyen n’a pas été jusqu’à produire un programme nouveau et les idées soutenues par Nouvelle Donne sont pour l’essentiel, les propositions défendues dans maints ouvrages par l’économiste Pierre Larrouturou depuis plus de dix ans et qui étaient déjà au cœur de l’association Nouvelle Gauche et du Collectif Roosevelt 2012.

 

Un revenu de base embryonnaire

Au delà des déclarations d’intention louables et des grands principes aux effets à (trop) long terme, je retiendrai ici la seule idée neuve par rapport aux propositions des formations de gauche, à savoir la création d’une monnaie locale « l’euro-franc ». Cette monnaie présenterait le triple avantage de :

1. ne pas être gagée sur l’euro (condition nécessaire pour recouvrer une souveraineté monétaire) donc permettant la création monétaire ex-nihilo,
2. inconvertible en euro, donc à l’abri des fluctuations de change et
3. non utilisable à des fins d’investissements mobiliers ou immobiliers, ce qui limite la sortie spéculative de l’économie réelle, quoique n’empêchant pas la thésaurisation (pour cela il aurait fallu qu’elle soit, en outre, « fondante »…)

Cette proposition d’une allocation inconditionnelle en euro-franc, au potentiel considérable est malheureusement ruinée par un sous-dimensionnement à 150€ par mois – en plus d’être réservée aux majeurs civils. Elle manque de peu l’établissement d’un véritable revenu de vie qui ne saurait être inférieur au seuil de pauvreté pour les adultes, alors que c’est la seule voie pour éviter l’explosion sociale inéluctable du fait de l’augmentation constante des 9 millions de pauvres en France (et plus de 35 millions de chômeurs en Europe) et que c’est aussi le seul levier pacifique permettant de redonner du pouvoir aux citoyens face au capital. Ce mécompte est d’autant plus décevant que Pierre Larrouturou fut un des plus constants dénonciateurs de l’accaparement progressif du revenu national par la sphère financière depuis 40 ans.

Certes la réaffectation d’un quart du PIB vers un revenu de vie exigerait une « remise à plat » du maquis fiscal français (comme le proposait naguère un téméraire premier ministre ;-)) accompagné d’un « choc de simplification » (comme l’exigeait alors un illustre président de la république) mais cet ouvrage a été déjà bien engagé par Camille Landais, Thomas Piketty & Emmanuel Saez du côté des prélèvements. Ce dernier demanderait à être complété notamment par une entreprise de même ampleur sur le versant prestations… Il ne manque pas, du reste, de plans économiques solidement étudiés depuis des décennies pour mettre en place cette idée défendue en France, en Allemagne et ailleurs en Europe

 

Un programme incomplet

L’origine économique du programme de Nouvelle Donne explique pourquoi, ne trouve-t-on pas par exemple de volet culture. Certes cela peut paraître congru aux européennes puisque officiellement du ressort des États-membres. En réalité, l’Union Européenne fait la guerre aux politiques culturelles et – contrairement au mensonge d’Aurélie Filippetti – la culture fait bien partie du mandat de négociation du Grand Marché Transatlantique (seuls les « services audio-visuels » sont mis de côté, dans un premier temps) dont l’objectif est d’asservir les politiques publiques au marché.

De même on ne trouvera pas de volet diplomatie, ni de proposition sur la transition énergétique, l’appropriation du vivant, pas plus sur l’économie de la connaissance. Enfin la réponse de Pierre Larrouturou à l’immigration par un appel à l’aide au développement, constitue l’incantation réflexe des socialistes permettant de se voiler la face devant la complicité de crimes perpétrés en notre nom.

On touche là les limites d’un parti tout entier construit sur les idées d’un seul homme, au cerveau dynamique et brillant mais qui ne présente tout de même pas une – exorbitante – compétence politique universelle (sic).

 

Les rapports gémellaires avec le Front de Gauche

La comparaison avec la proposition du Front de Gauche laisse un trouble profond : pourquoi créer une nouvelle formation toute entière réduite à un programme économique en presque complète convergence avec celui du Front de Gauche ? On aimerait croire qu’il ne s’agisse pas d’une lamentable rivalité d’égo – tant il est vrai que l’éloquence sans pareil de Jean-Luc Mélenchon suscite d’incompatibilités – si la proximité des élections ne laissait transpirer les traditionnels mensonges des camelots de la politique, par exemple, pour expliquer sa différence d’avec le FdG : « Une autre partie, autour de Jean-Luc Mélenchon, dit que l’économie, ce n’est pas très important et qu’il faut «mettre du conflit partout» » ou, sur France Culture ou dans la vidéo ci-dessus : « la dette publique, ce n’est pas important pour le Front de Gauche » – boniments* que Pierre Larrouturou n’aurait jamais le courage de tenir devant l’économiste et co-fondateur du Parti de Gauche, Jacques Généreux.

On en vient à regretter que les adhérents de Nouvelle Donne n’aient pas conduit jusqu’au bout, l’élimination des vieux routiers de la politique, car ces mensonges ne sont pas de nature à donner confiance en une formation qui prétend renouveler la politique…

En outre, Pierre Larrouturou n’a pas tiré la leçon de l’échec de son « entrisme » en 2002 au PS ; échec qui a encore plus de chances de se reproduire au sein de l’Union Européenne où la crise n’est pas réductible à un déséquilibre macro-économique mais s’origine dans un déséquilibre des rapports de forces politiques. Ainsi par exemple, la proposition de création d’une « zone d’action » avec  l’Allemagne pose des problèmes considérables, mais sans l’Allemagne aussi. De ce point de vue, l’expérience politicienne autant que la plus grande diversité sociologique des membres du Front de Gauche leurs donnent une guerre d’avance.

Au demeurant, les mesures de ND mettent en lumière l’insuffisante lisibilité des propositions européennes du Front de Gauche qui explique grandement pourquoi cette formation ne profite pas, contrairement au Front National, de la crise actuelle. Cela tient d’abord à ce que le Parti de Gauche affronte ouvertement l’obstacle politique européen. Ainsi Jacques Généreux explique très clairement la stratégie européenne – nécessairement compliquée – du PG, dans la vidéo ci-dessous. Incidemment, il convient des difficultés à arrêter des dispositions au contour net dans le cadre du Front de Gauche, c’est-à dire d’une alliance de multiples formations politiques dont le PCF. Ce dernier, en effet, n’a pas – contrairement à Larrouturou – claqué la porte du PS. Ce que la désastreuse trahison des responsables communistes notamment parisiens aux dernières municipales, a révélé – jetant le discrédit sur l’ensemble des responsables du Front de Gauche…

Mercredi 30 avril 2014 a eu lieu une conférence-débat à l’École Normale Supérieure rue d'Ulm sur le thème "Faut-il faire sauter Bruxelles?" en présence de Jacques Généreux, Emmanuel Todd et François Ruffin.
« Faut-il faire sauter Bruxelles » avec Jacques Généreux, Emmanuel Todd et François Ruffin.

 Une coalition nécessaire

Les têtes de liste de Nouvelle Donne glissent en particulier sur la stratégie qui leurs permettra dans le cadre d’un parlement européen de 766 membres de réformer les traités européens et imposer leurs propositions avec pour seule force, au maximum 4 députés élus (sans oublier que le parlement n’a pour l’essentiel qu’un pouvoir d’amendement aux propositions de la commission de Bruxelles)… En outre, l’envoi de citoyens sans expérience politicienne, notamment de ce monstre technocratique babellien qu’est le parlement européen, ne leurs donne pas beaucoup de chance de réussite. Il leurs faudra nécessairement nouer des alliances et je ne vois pas comment ils pourraient s’offrir le luxe de négliger les élus du Front de Gauche.

Dès lors les caricatures de Larrouturou devront être rangées au rayon des démagogies électoralistes préjudiciables…


Emaux
(22 mai 2014)

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(*) « Nous agirons pour le réaménagement négocié des dettes publiques, l’échelonnement des remboursements, la baisse des taux d’intérêts les concernant et leur annulation partielle. Nous exigerons des moratoires et des audits sous contrôle citoyen. »

Programme du front de Gauche 2012, page 70 (http://www.librio.net/Albums_Detail.cfm?ID=40838)

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