Immigration et délinquance : le sophisme ZBM (Zemmour-Bilger-Ménard)

 

À Danielle Simonnet

On se souvient de la sortie célèbre d’Éric Zemmour sur le contrôle ciblé des « noirs et des arabes » justifié selon lui parce que cette « catégorie » de population serait plus sujette à la délinquance. De la part d’un provocateur professionnel en charge de faire de l’audience par quelque saillie, cela n’aurait suscité que le renforcement du sentiment de consternation – hélas, habituel – devant l’entreprise de crétinisation des Français par la télévision, s’il n’avait trouvé dans le magistrat Philippe Bilger un soutien inattendu d’autant plus grave qu’il s’exprimait dans la sérénité et la réflexion d’un blogue.

Avant toute chose, observons que ce genre de croyances est susceptible d’être autoréalisatrices si elles sont partagées par les forces de l’ordre, biaisant par là les données invoquées, puisque des policiers « zemmouriens » ont toutes les chances de ramener au tribunal préférentiellement des « noirs et des arabes », renforçant les convictions « objectives » de Philippe Bilger… C’est tout le problème des contrôles « au faciès » qui bien qu’anticonstitutionnels sont toujours effectifs. Le témoignage – hélas non-exceptionnel – du journaliste Mustapha Kessous est là pour rappeler qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse d’École…
En outre, comme le souligne Laurent Mucchielli dans Délinquance et immigration, la population interpellée n’est en rien représentative de la population délinquante, car, seule une très faible partie (quelques pourcents) des délits sont élucidés et même, lorsqu’il y a arrestation, c’est préférentiellement le « menu fretin » qui est écroué au détriment des « gros poissons » i.e. des donneurs d’ordre, dont rien n’indique qu’ils aient la peau basanée…

Or, pour parfaire ce duo baroque, un troisième larron, Robert Ménard, est venu reprendre le flambeau dans une émission intitulée « Est-il choquant de renvoyer des délinquants étrangers ? » en affirmant – chiffres à l’appui – que les étrangers étaient la cause d’une plus grande délinquance puisque :

« L’augmentation de délits par les étrangers était de +37% pour les vols avec violences depuis 2008, de +40% pour les cambriolages »

À supposer que l’on connaisse de quel chapeau Ménard sort ces chiffres, on ne peut rien en conclure puisqu’il faudrait les comparer a minima avec l’accroissement global des mêmes délits – ce qu’il ne fait pas ici…

Puis, il nous assène :

« Il y a 4,6% d’étrangers en France [alors que] parmi les gens qui commettent les crimes les plus graves [passibles] de 10 ans de prison, il y a 12,6% d’étrangers. Donc, il y a un problème, il y a plus d’étrangers que normalement… »

Danielle Simonnet face à Robert Ménard sur i-télé

Danielle Simonnet face à Robert Ménard sur i-télé

Tout d’abord, on notera la précision « scientifique » de ces statistiques données avec un chiffre après la virgule, s’il vous plaît ! – sans que l’on s’interrogeât sur la significativité de ces décimales (pour ne pas parler des unités !)…

La rationalité statistique est l’acquisition ultime, (lorsqu’ils y parviennent ;-), de l’ontogenèse des individus

Mais surtout, elles relèvent d’une erreur de raisonnement de niveau première année de Sciences humaines (et même Terminale scientifique). En effet, le b-a-ba de la Statistique nous enseigne que lorsqu’on partitionne une population en deux classes selon un critère arbitraire (ici Français versus Étrangers), et que l’on observe la variation d’une mesure (ici le taux de délinquance) on ne peut rigoureusement rien conclure, en particulier de nature causale, tout simplement parce que les deux populations n’ont, a priori, rien en commun. Or, une comparaison rigoureusement tenue exige de se faire « toute chose égale par ailleurs ». Ici, rien « d’égal » : ni le capital culturel, ni le capital matériel, notamment…

Il faut donc, au préalable, « neutraliser » tous les autres paramètres avant de pouvoir comparer quoique ce soit… C’est l’objet de méthodologies créatives et sophistiquées qui construisent une authentique sociologie scientifique, à mille lieux de ces discours de « sens commun »1

Au demeurant, ces « raisonnements » ne prêteraient pas à conséquence s’ils restaient confinés dans le cadre qui leurs sied : le Café du Commerce. Or ces trois personnes ont cru bon d’abuser de leurs magistères pour les étaler en place publique, ce qui est non seulement irresponsable, mais même répréhensible…

La réussite scolaire, autre théâtre de la sophistique xénophobe

Cette problématique est rigoureusement homologue à celle de la réussite scolaire des enfants d’immigrés où, là aussi, les « raisonnements » frelatés vont bon train… Ainsi naguère Claude Guéant prit les mêmes libertés et osait affirmer que « (…)les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés. » en hallucinant des données statistiques issues d’un rapport du Haut Conseil à l’Intégration qui concluait au contraire – précisément en neutralisant les autres déterminants – à une réussite équivalente, voire supérieure, des enfants de l’immigration… De même l’étude approfondie de Yaël Brinbaum & Annick Kieffer confirme une meilleure réussite (toute chose égale par ailleurs), en particulier des filles de parents maghrébins.

Myriam Bourhail, franco-marocaine et meilleur bachelier de France avec 21,03 de moyenne
Myriam Bourhail, franco-marocaine et meilleur bachelier de France avec 21,03 de moyenne

La pente du fantasme d’élimination

Or, si l’on s’en tenait aux résultats scolaires, une politique comptable des deniers publics devrait mettre en œuvre l’expulsion des Français eux-mêmes, puisque pour un investissement public donné, les enfants – en particulier les filles – d’immigrés procurent un retour sur investissement supérieur ! On voit ainsi à quelle absurdité la « logique » de l’expulsion conduit…

Or, dans nulle autre situation que face à la délinquance, la possibilité légalement offerte par le code pénal et le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceséda) d’expulser des individus, libère des fantasmes d’élimination et corrompt les facultés intellectuelles…

La double-peine en embuscade

De surcroît, cette logique qui transpire des propos de notre trio de choc et explicitement du dernier acolyte, pose le problème de la « double-peine ». Or par un bluff jamais dénoncé par nos médias (si prompt pourtant à mettre en avant la certification qu’ils apporteraient à l’Information) la droite a pu prétendre jusqu’à présent que Nicolas Sarkozy avait supprimé la « double-peine », dans le but achevé de déstabiliser le PS – qui, en l’occurrence pouvait aisément l’être…

En réalité, la double-peine figure toujours dans le Code pénal comme dans le Ceséda (Art. L.541-1 renvoyant à l’Art.131-30 du Code pénal) :

« Lorsqu’elle est prévue par la loi, la peine d’interdiction du territoire français (ITF) peut être prononcée à titre définitif ou pour une durée de 10 ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable d’un crime ou d’un délit »

(pour une analyse plus approfondie : CPDH).

Elle apparait aussi, amoindrie, au détour de l’Art. L.313-5 du Ceséda :

« La carte de séjour temporaire peut-être retirée à l’étranger passible de poursuites pénales (…) »

Les peines collectives : symptôme d’une épidémie de dégénérescence neuronale ?

Au risque d’être accusé de droit-de-l’hommisme caractérisé (un des « crimes » les plus graves, de nos jours ;-), il faut rappeler ici combien ces interdictions de séjour introduisent une rupture d’égalité devant la loi, puisque pour un même délit un Français n’en sera évidemment pas passible (encore qu’au train où vont les choses, le rétablissement de l’égalité de traitement pourrait se faire dans un sens non nécessairement heureux : Cayenne est encore dans les mémoires !)

En outre, elles pénalisent bien au-delà de la personne jugée : la personne qui partage sa vie, ses enfants éventuels, etc, qui vont être ainsi privés durablement voire définitivement de l’affection et de l’autorité parentale de la personne bannie, bien plus que s’il s’agissait d’un emprisonnement à proximité de la famille… Elles instaurent des peines collectives de fait, qui, bien qu’en rupture avec le principe d’individualisation des peines, ne semblent plus choquer la classe médiatico-politique.

On garde en mémoire le précédant de ce chef-d’œuvre de tératologie juridique qu’est la loi Hadopi, dont la peine de coupure d’accès, prive d’Internet l’ensemble des personnes d’un foyer et c’est même jusqu’à l’affaire Leonarda où l’intelligentsia française s’est satisfaite du discrédit du père (savamment exploité) pour justifier l’expulsion de toute la famille Dibrani…

C’est cette perte de sensibilité aux principes juridiques démocratiques qui est aujourd’hui la plus inquiétante…

…d’autant qu’elle peut s’accompagner d’une perte de sensibilité au droit lui-même :

À chaque fois q'un ministre est conspué  en – l'occurrence Taubira encore comparée à une guenon –, on ne va pas en faire un gros titre…
Philippe Bilger face au racisme dont est victime la Garde des sceaux

https://twitter.com/BilgerPhilippe/status/394153999378960384

@Emaux (8 décembre 2013)

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1. On ne saurait mieux conseiller à nos élites politiques et médiatiques que de (re?)lire, crayon en main un classique toujours d’actualité : « La formation de l’esprit scientifique » de Gaston Bachelard (Vrin 1938)

Immigration : la paranoïa est mauvaise conseillère

L’approche de l’immigration en Europe et singulièrement en France se fait depuis des décennies sur un mode paranoïaque. Cette attitude occulte la réalité et interdit une politique rationnelle.

L’aveuglement statistique

Elle nous empêche tout d’abord d’avoir des chiffres chaque année en particulier du solde migratoire qui ne sont connus avec précision que rétrospectivement… En leurs absences, on ne peut qu’estimer l’ampleur des « flux migratoires irréguliers » en extrapolant à partir des derniers chiffres plus ou moins fiables1. C’est ainsi une des conséquences paradoxales des politiques prohibitionnistes qu’elles nous interdisent tout contrôle en oblitérant toute connaissance statistique en temps réels – en plus de faire le bonheur de la pègre, de 15 à 30 000€ le passage depuis l’Asie (à ce tarif-là, il est vrai qu’il n’y a pas de risque que « la misère du Monde » frappe à notre porte !).

Or cette incertitude alimente les discours populistes, en particulier depuis 10 ans… Pourtant, toutes les études analytiques convergent pour dire que depuis plusieurs décennies, la France n’est que faiblement une terre d’immigration, tout simplement parce que les migrants ne vivent pas « en apesanteur » : ils ne restent en France que s’ils y trouvent du travail – seul véritable levier de contrôle migratoire2. D’ailleurs, lors de la dernière « régularisation massive » – avortée – celle de Sarkozy en 2006, seul un nombre très faible de dossiers, 30 000 avaient été déposés…

Les artefacts du discours politicien

Si l’on analyse les 30 000 expulsions hors de l’hexagone, dont nos ministres de l’intérieur successifs sont si fiers, on découvre alors qu’elles sont loin d’être réelles et ces nombres, des artefacts du fait de la « politique du chiffre ».
Ainsi, par exemple, une approche qualitative de l’année de 20113, permet-elle d’observer que parmi les 33 000 expulsés de la Métropole, le premier contingent national (5474 retenus) est celui des Tunisiens qui, pour la grande majorité, sont passés par l’Île de Lampedusa et qui disposaient ainsi d’un titre de séjour italien. Ils n’ont donc pas été expulsé vers la Tunisie – qui, en pleine transition post-révolution, a mieux à faire que de délivrer les laissez-passers consulaires nécessaires pour ré-accepter des chômeurs – mais vers l’Italie (« réadmission Schengen ») d’où ils sont revenus en France pour la plupart…

Mode d'éloignement des Roumains et des Bulgares

De même, environ 9000 dont 1451 Bulgares et 7 444 Roumains, ont empochés les 300€ « d’aide au retour humanitaire », qui leur ont payés leur ticket d’aller-retour : n’ayant aucun avenir en Bulgarie, (respectivement Roumanie), ils sont de nouveau sur le territoire français – ce que reconnaît implicitement le nouveau ministre de l’intérieur qui, pour cette raison, a supprimé cette aide.

Ce n’est donc pas 33 000 qui ont vraiment été expulsés par Sarkozy mais beaucoup moins ce que le gouvernement reconnait puisque seuls moins de 15 996 Arrêtés Préfectoraux de Reconduite à la Frontière et Obligations à Quitter le Territoire Français ont été exécutés – chiffre dont il faut ôter les Tunisiens et Roms évoqués ci-dessus qui ont fait dans l’année l’aller-retour par leurs propres moyens et ceux qui ont payé un passeur pour revenir subvenir aux besoins de leur famille. Le véritable nombre se chiffre donc probablement seulement en milliers…

Ainsi, aussi inhumaine et coûteuse que soit la politique d’expulsion des étrangers « en situation irrégulière », l’immense majorité de ces derniers restent in fine sur le territoire national et, par conséquent, cette tactique est massivement inefficace – ce que seuls, les militants qui défendent leurs droits sont en mesure d’observer.

De la même façon, quand Manuel Valls affiche sur tous les médias qu’il s’en tiendra comme ses prédécesseurs à régulariser 30 000 « Sans-papiers », il s’agit-là d’un chiffre magique, car l’analyse des données de son propre ministère ne lui permet pas de construire un tel agrégat ! En effet, la complexité des accidents de la vie des étrangers qui les conduisent à se trouver « sans-papiers » ne cadre pas avec la structure du logiciel AGDREF4 de l’Intranet du ministère de l’Intérieur, qui gère l’établissement des titres de séjour (ce n’est tout simplement pas sa fonction).

Ainsi, on peut devenir Sans-papiers après être entré en France avec un visa tourisme (3 mois) ou un visa longue durée (6 mois ou plus) et être resté sur le territoire national : l’absence de visa ne peut donc être pris comme critère… De même, un étranger peut avoir eu un temps une carte de séjour pour un motif donné : travail, maladie, mariage, etc. et l’avoir perdue par rupture ou modification de contrat de travail, changement de situation médicale, divorce, etc. ; le motif d’admission n’est pas plus un critère (pour une discussion plus approfondie)…

En réalité, Valls ne dispose d’aucun outil, lui permettant d’instaurer un tel quota (heureusement : la France perdrait de ce fait le statut d’État de droit !) ; il ne s’agit que d’un « coup de menton » politicien lui permettant de signifier qu’il appliquera la même politique que Sarkozy.

La rhétorique complaisante de la régularisation « massive »

Le seul véritable effet des politiques restrictives, est de faire enfler le « stock » des Sans-papiers, ce qui conduit tous les 10-15 ans à ce qu’on qualifie, dans la rhétorique politicienne, de régularisations « massives » (dans les faits, au maximum quelques centaines de milliers). Ainsi, cette accumulation peut-elle être constatée à travers la statistique des bénéficiaires de l’Aide Médicale d’État (qui correspondent aux conditions de la CMU) et qui n’est attribuable qu’à des Sans-papiers mais qui n’est donnée qu’à une partie de ces derniers :

Augmentation des bénéficiaires de l'Aide Médicale d'État
Augmentation des bénéficiaires de l’Aide Médicale d’État depuis 2008

Cette gestion en coup d’accordéon a des effets dommageables pour l’intégration des migrants. D’abord, elle alimente la xénophobie puisque quel que soit le moment où l’on est sur la ligne en dent de scie, l’immigration, « c’est mal » : mal lors du retour de la répression « nécessaire », après la période « d’abus » ; mal lors de la régularisation « massive » contrainte et honteuse, car « laxiste » – avec toute la connotation sexuelle de débandade qui excite la droite dure

Ensuite, elle désorganise tous les services sociaux susceptibles d’aider à l’intégration qui se trouve périodiquement submergés par le nombre de dossiers à traiter : logements sociaux, écoles, mairie, préfecture même…

C’est notamment pour ces raisons, qu’il serait indispensable d’arriver à une approche apaisée de l’immigration en France, mais pour cela il faudrait une élite politique intelligente et courageuse et c’est là l’utopie la plus folle dont on puisse rêver…

La gabegie de la xénophobie d’État

Or cette obsession nous coûte officiellement plus d’un milliard d’euros : 600M€ (selon l’évaluation du Sénat) pour les expulsions auxquels il faut ajouter les 600M€ de l’Aide Médicale d’État qu’on alloue à des gens à qui l’on interdit de cotiser alors qu’ils travaillent et ne demandent que ça !…

Si ces évaluations tiennent compte des é-migrants que l’on arrête au moment où ils s’apprêtent à quitter le territoire un ticket de voyage en poche, afin de leur faire faire un séjour en « Centre de rétention administrative » (dans la novlangue) et d’alimenter ainsi les statistiques d’expulsions (« faire des bâtons » dans l’argot policier), elles ne comptent pas :

1. Les Sans-papiers que l’on convoque tous les trois mois, six, sept, huit fois afin de faire baisser le chiffre des régularisations, ce qui leur fait perdre à chaque fois une demi-journée – et à leurs accompagnants ;-) – mais qui fait perdre aussi aux agents de la préfecture, au bas mot une heure de travail… (La Gauche, il est vrai, semble initier une nouvelle méthode dilatoire moins coûteuse : ne plus donner de rendez-vous avant six mois, voire un an mais, dans les situations de renouvellement de titre de séjour, les rendez-vous peuvent alors avoir lieu fort proche de la date de péremption de la nouvelle carte – rendant l’opération économiquement nulle !)

2. La saturation de l’appareil judiciaire : tribunaux administratifs, notamment qui coûte à la collectivité, à tous les sens du terme …

3. La perte économique des employeurs, privés de leurs salariés sans oublier les entreprises obligées d’aller en justice afin de pouvoir recruter ceux que la politique de préférence nationale – imposée par tous les préfets de France – leur interdit de faire travailler (jurisprudence dite de la Tour d’Argent)

4. La construction de camps de concentration5 (une vingtaine sous le règne de Sarkozy, les portant à 28) que par cynisme, la France impute au budget de l’aide au développement !

Le Centre de Rétention Administrative de Cornebarrieu

Le mythe de « l’appel d’air »

Toute la « gestion des flux migratoires » conduite depuis les ministères de l’intérieur successifs – faut-il rappeler cette anomalie ? – repose sur le postulat que tout ce qui ne contrecarre pas l’intégration des étrangers favorise leur arrivée.

C’est ici que le caractère délirant de cette politique est le plus net. Il faut méconnaître singulièrement les migrants pour s’imaginer que leur périple soit commandé par un « avantage comparatif » précis, refusé ou non par la France et qu’ils arbitrent librement entre plusieurs destinations, tel un client au bureau d’un voyagiste. Il suffit d’observer que l’immigration en France est l’exact écho des colonisations passées pour remettre en question cette vision. En réalité, leur départ est toujours mus par la fuite : du chômage, de la misère, de l’ostracisme, de la guerre, par la crainte de la torture, du viol, d’un avortement forcé à sept mois de grossesse, du traumatisme de l’excision, etc. L’image qu’ils ont de l’Europe est nécessairement vague. C’est donc uniquement la différence de potentiel négatif qui pousse leurs pas vers nous.

Aussi entendre un représentant ministériel ou préfectoral soutenir que la nature d’un titre de séjour détermine les flux migratoires en créant ou non un « appel d’air », témoigne de l’égocentrisme de nos « responsables ».

Il n’est que de constater que, bien que la politique migratoire de la France ait été incontestablement durcie de 2002 à 2011 par les lois Sarkozy, Hortefeux, Besson et consort, les entrées sur le territoire (européennes et non-européennes) ont augmentées et…

…corrélativement le nombre de premier titre de séjour a lui-même augmenté, pour démontrer6 l’inanité du concept médiatique « d’appel d’air ».

On notera en revanche l’effet de la crise économique avec la réduction régulière depuis 2008 de titres délivrés à ce motif7, l’effet conjoncturel de l’imbécile circulaire Guéant sur les titres étudiants en 2012 et de la campagne électorale où les méthodes dilatoires évoquées plus haut ont fonctionné à plein régime en 2011 et 2012…

Inculquer l’amertume d’avoir fait sa vie en France

Les Français ne mesurent pas les conséquences pour celui qui reste 12 ans, 15 ans, parfois 20 ans et plus, sans droit. Lorsqu’enfin il accède à un statut, après des années de peur, de brimades, d’humiliations, de sacrifices, a-t-il encore le sentiment de devoir quelque chose au pays « d’accueil » ?
C’est pourquoi cette politique nous est nuisible : elle altère le sentiment de gratitude d’avoir bénéficié de l’hospitalité de la France qui soutient une intégration réussie. Elle freine l’intégration au lieu de tenter de l’améliorer. C’est aussi le sens du rapport de Thiérry Tuot au premier ministre et si cet ostracisme infligé aux étrangers reste enfoui à la première génération, il peut resurgir à la deuxième et surtout à la troisième génération avec des conséquences dramatiques, en apparence incompréhensibles…

Or, l’intégration s’est toujours faite par les enfants, grâce à l’École de la République, mais rien dans les dispositifs législatifs et règlementaires ne vient inciter les migrants à faire leurs enfants en France. Au contraire, la France a supprimé en 1994, le droit du sol afin de ne plus régulariser les parents d’enfants nés sur notre territoire et les contraindre à, au moins, 10 ans de travail au noir. Quant à la nationalité étrangère affublée par la France à ces enfants, elle est fictive, car les pays « d’origine » (des parents !) ne les reconnaissent pas.

De même, la France envoie la police pourchasser préférentiellement les mariages mixtes marqués au sceau de « blanc » ou « gris » alors qu’elle devrait les encourager, car ils facilitent l’intégration. Même la circulaire du Ministère de l’intérieur du 28 novembre 2012 (dite « circulaire Valls ») a dévoyé la promesse de François Hollande en imposant 3 ans de scolarité révolus, ce qui interdit la régularisation en cinq ans à des étrangers qui auraient choisi de faire leurs enfants sur le sol français – alors que c’est pourtant notre intérêt.

La complicité active avec les dictatures

De même que les causes du niveau des migrations sont à chercher non pas dans la politique franco-française, mais dans l’état du (reste du) Monde, de même il faut sortir de notre petit hexagone pour peser les implications de nos choix paranoïaques.

Or une « mesure d’éloignement », pour parler la novlangue de l’administration et malheureusement aussi des juristes puisque c’est le terme inscrit dans le Code des étrangers (Ceséda), ne ressemble que de très loin à un voyage de retour. La plupart sont réalisées contre la volonté de l’intéressé qui est ainsi contraint, entravé, étouffé – aux limites de la fibrillation cardiaque – afin de l’empêcher de crier. Lorsqu’il arrive vivant au terminus, le pire l’attend parfois : il est remis à la police du seul État dans lequel il ne devait pas séjourner. Lorsque par exemple, la police de Manuel Valls remet un militant Saharaoui à la police du Maroc, ce qui va lui arriver n’est malheureusement que trop prévisible, de même lorsque en plein génocide Tamoul celle de Sarkozy remet à la police de Sri Lanka, un Tamoul qui nous racontait – sans l’ombre d’une preuve – que sa famille a disparue, etc…

Ces cas ne sont pas des exemples isolés, leurs semblables abondent dans toutes les zones troublées. Ils sont le sujet d’une diplomatie parallèle, plus obscure, mais plus prégnante que celle du ministère des affaires étrangères : celle de l’Intérieur, qui a conduit les ministres éponymes à multiplier les voyages et les accords bilatéraux de containement des migrants dit : accords de « gestion concertée des flux migratoires » , notamment avec les États du sud de la méditerranée comme la Tunisie de Ben Ali, la Libye de Khaddafi et a négocier avec les États dit « peu coopératifs » c’est-à-dire peu enclin à ré-accepter leurs ressortissants expulsés.

Il faudrait, à l’inverse, ne pas craindre de s’interroger sur les raisons qui poussent certains États à vouloir tellement récupérer leurs ressortissants…

C’est ces accointances avec les services de Police de ces pays qui amènent le ministère de l’Intérieur non seulement à assurer le courtage et la formation aux matériels et techniques de répression de manifestations pacifiques, mais aussi à assurer la fourniture et SAV de technologies de surveillance des populations et notamment la vente à la demande de Khaddafi du système Eagle d’Amesys, filiale alors d’une entreprise publique : Bull avec supervision du Ministre en personne (sic) mais aussi à former et équiper la police du Bahreïn8 qui réprime la contestation démocratique du régime depuis le début du « printemps arabe »…

Post scriptum

Certains penseront peut-être que je prône la suppression des frontières : il n’en est rien.
Je demande simplement qu’on n’expulse pas les étrangers établis sur notre territoire, qu’on leurs permette d’y vivre dignement et qu’on assouplisse la délivrance des visas en particulier pour les pays en guerre ou dont les ressortissants sont susceptibles d’être l’objet d’exactions.

Est-ce déraisonnable ?
Non ! C’est même notre intérêt démographique et économique (j’y reviendrai).

@Emaux (11 octobre 2013)

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(1) Cette incertitude apparaît lorsqu’on compare les chiffres de l’Insee, de l’Ined et d’Eurostat
(2) On notera que la France – populistes en tête – ne s’est jamais dotée des moyens de lutter contre le travail au noir, avec seulement 1000 inspecteurs du travail pour tout le territoire…

(3) 2011 : Dernière année où l’on dispose d’une telle analyse

(4) AGDREF = Application de Gestion des Dossiers de Résidents Etrangers en France

(5) Rappelons aux Français oublieux de leur Histoire comme de leur langue que les camps qui sont dispersés sur leur territoire depuis le début du XXe et qui, pour des raisons diverses (à l’image du Camp Joffre de Rivesaltes), visent à regrouper des hommes en un centre = concentrer, s’appellent fort logiquement en bon français des « camps de concentration », qu’il ne faut pas confondre avec les camps d’extermination de la 2e guerre mondiale, en l’occurrence absent du territoire français.

Seul le remplacement des miradors par des caméras de vidéosurveillance en a sensiblement changé la physionomie.

Franciscains de Toulouse > Cra de Cornebarrieu

(6) En vertu du principe de non-contradiction – principe inconnu des politiques…
(7) Du fait du chômage dans le secteur du bâtiment provoquant l’effondrement du travail temporaire (intérimaire)

(8) Pour en savoir plus sur ce charmant État, dont le roi est reçu par le président Hollande avec tous les égards, voici comment les journalistes de France24 sont accueillis en retour…

Expulsion programmée de M. Ou CHEN : un déni de justice

Le nouveau préfet de police de Paris choisit d’expulser Ou CHEN juste quelques heures à temps pour le priver de son droit à voir sa rétention examinée par le deuxième Juge des libertés et de la détention (JLD). Ce dernier, en effet, aurait été obligé de prononcer sa libération devant le peu de diligence que la préfecture mettait à éxécuter une expulsion qu’elle avait le loisir de mettre en œuvre depuis 20 jours…

On voit ainsi combien un préfet « de gauche » témoigne aussi peu qu’un préfet sarkozyste du souci de minimiser la privation de liberté – même après que la Cour de cassation a rappelé que la seule absence de titre de séjour ne pouvait être un motif de détention.

Les bons esprits m’objecteront que la rétention n’est pas la détention et, en effet, un caractère les distingue.

Pétition pour la libération de M. CHEN

pour le contexte : lire mon billet précédant

Mise à jour : M. Ou CHEN a été expulsé par avion vers l’Italie, le 20 juillet à 8h du matin…

 

@Emaux (19 juillet 2012)

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http://twitter.com/Emaux 

Rétention de M. Chen : les contradictions du gouvernement Ayrault

Monsieur Ou Chen fait partie d’une nouvelle vague de « retenus », ceux de la période post-législatives, c’est-à-dire sous l’entière responsabilité du gouvernement socialiste.

Cette valeur symbolique est amplifiée, dans son cas, par la possession d’un titre de séjour valide – certes, italien – qui accentue les contradictions dans lesquelles l’immigration place la nouvelle majorité.

 

 

On sait que Sarkozy avait intérêt à instrumentaliser l’immigration pour capter l’électorat d’extrême-droite. Tout indique que sa xénophobie (en particulier, sa haine des musulmans) et son racisme personnel l’inclinait à le faire…

 

Or, la poursuite par le gouvernement Ayrault de la xénophobie d’État, inscrite désormais dans la loi depuis (au moins) les lois Pasqua, ne lui permet d’escompter aucun gain électoral – tant les socialistes représentent tout ce que hait l’extrême droite-droite populiste. 

 

En outre, cet appareil répressif participe de la politique déflationniste menée depuis une dizaine d’année en Europe et qui a ruinée la France… Du reste, il ne manque pas de voix d’économistes pour prôner un assouplissement des conditions de régularisation, quand ce n’est pas celle de la Commission européenne elle-même

 

Même si l’on peut douter que le nouveau Président ait le courage de s’attaquer à l’un des piliers de ce qui reste de « pensée » politique de la Droite, on pouvait raisonnablement espérer que, sinon par amendements du moins par circulaires, le gouvernement neutralise les effets les plus dévastateurs du code des étrangers (Ceséda) :
  1. Le déchirement des familles et le traumatisme des enfants lors des expulsions qui préparent les « caillassages » d’après-demain,
  2. Le renchérissement des coûts de passage des frontières qui maximise la rentabilité de la pègre,
  3. L’entretien d’un volant de quasi-esclaves de l’économie souterraine qui gangrène la société française – le secteur de l’immobilier, tout particulièrement.

 

Les médias contre la démocratie 

Mais dans cette partition, c’était oublier la partie discordante que s’est octroyé l’un des chef de pupitre : Manuel Valls… Or sa carrière s’est bâtie, non sur la profondeur d’analyse de la société française, pas plus sur la créativité de solutions économiques innovantes, mais sur des provocations grinçantes à Gauche et qui font les « choux gras » des médias – la leçon de Jean-Marie Le Pen a été bien apprise…

 

Les incohérences de sa dernière déclaration dans Le Monde s’inscrivent dans cette démarche : à peine a-t-il annoncé que les promesses d’humanisation de l’immigration du candidat Hollande seraient tenues qu’il fait exploser cet engagement en annonçant que rien n’allait changer par rapport à l’ère Sarkozy concernant le chiffre des régularisations, qui resterait autour de 30 000 – réactivation de la « politique du chiffre » par la gauche.

 

D’un seul coup, il se paye un brevet de ferme « réalisme », sanctifié par les applaudissements à droite (qu’il légitime rétrospectivement, au passage) et les indignations à gauche : l’opération médiatique est un succès…

 

 

La tragédie de cette perversion de la démocratie, est que l’appareil d’État est bien obligé de donner quelque réalité aux déclarations du Ministre, ce qui place les « petites mains » : celles du préfet de police de Paris (nouvellement nommé par Valls, lui-même), au cœur de ces contradictions qui n’incitent ni à l’intelligence, ni à l’efficacité.

 

C’est en bout de chaîne, les malheureux qui en payent la facture, notamment M. Chen, qui en est aujourd’hui à son 20e jour de détention avec « l’épée de Damoclès » d’une expulsion absurde vers l’Italie, dont il devra revenir à n’importe quel prix afin de subvenir aux besoins de sa famille…

 

 

 

 

 

 

@Emaux (15 juillet 2012)

 

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