Immigration et délinquance : le sophisme ZBM (Zemmour-Bilger-Ménard)

 

À Danielle Simonnet

On se souvient de la sortie célèbre d’Éric Zemmour sur le contrôle ciblé des « noirs et des arabes » justifié selon lui parce que cette « catégorie » de population serait plus sujette à la délinquance. De la part d’un provocateur professionnel en charge de faire de l’audience par quelque saillie, cela n’aurait suscité que le renforcement du sentiment de consternation – hélas, habituel – devant l’entreprise de crétinisation des Français par la télévision, s’il n’avait trouvé dans le magistrat Philippe Bilger un soutien inattendu d’autant plus grave qu’il s’exprimait dans la sérénité et la réflexion d’un blogue.

Avant toute chose, observons que ce genre de croyances est susceptible d’être autoréalisatrices si elles sont partagées par les forces de l’ordre, biaisant par là les données invoquées, puisque des policiers « zemmouriens » ont toutes les chances de ramener au tribunal préférentiellement des « noirs et des arabes », renforçant les convictions « objectives » de Philippe Bilger… C’est tout le problème des contrôles « au faciès » qui bien qu’anticonstitutionnels sont toujours effectifs. Le témoignage – hélas non-exceptionnel – du journaliste Mustapha Kessous est là pour rappeler qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse d’École…
En outre, comme le souligne Laurent Mucchielli dans Délinquance et immigration, la population interpellée n’est en rien représentative de la population délinquante, car, seule une très faible partie (quelques pourcents) des délits sont élucidés et même, lorsqu’il y a arrestation, c’est préférentiellement le « menu fretin » qui est écroué au détriment des « gros poissons » i.e. des donneurs d’ordre, dont rien n’indique qu’ils aient la peau basanée…

Or, pour parfaire ce duo baroque, un troisième larron, Robert Ménard, est venu reprendre le flambeau dans une émission intitulée « Est-il choquant de renvoyer des délinquants étrangers ? » en affirmant – chiffres à l’appui – que les étrangers étaient la cause d’une plus grande délinquance puisque :

« L’augmentation de délits par les étrangers était de +37% pour les vols avec violences depuis 2008, de +40% pour les cambriolages »

À supposer que l’on connaisse de quel chapeau Ménard sort ces chiffres, on ne peut rien en conclure puisqu’il faudrait les comparer a minima avec l’accroissement global des mêmes délits – ce qu’il ne fait pas ici…

Puis, il nous assène :

« Il y a 4,6% d’étrangers en France [alors que] parmi les gens qui commettent les crimes les plus graves [passibles] de 10 ans de prison, il y a 12,6% d’étrangers. Donc, il y a un problème, il y a plus d’étrangers que normalement… »

Danielle Simonnet face à Robert Ménard sur i-télé

Danielle Simonnet face à Robert Ménard sur i-télé

Tout d’abord, on notera la précision « scientifique » de ces statistiques données avec un chiffre après la virgule, s’il vous plaît ! – sans que l’on s’interrogeât sur la significativité de ces décimales (pour ne pas parler des unités !)…

La rationalité statistique est l’acquisition ultime, (lorsqu’ils y parviennent ;-), de l’ontogenèse des individus

Mais surtout, elles relèvent d’une erreur de raisonnement de niveau première année de Sciences humaines (et même Terminale scientifique). En effet, le b-a-ba de la Statistique nous enseigne que lorsqu’on partitionne une population en deux classes selon un critère arbitraire (ici Français versus Étrangers), et que l’on observe la variation d’une mesure (ici le taux de délinquance) on ne peut rigoureusement rien conclure, en particulier de nature causale, tout simplement parce que les deux populations n’ont, a priori, rien en commun. Or, une comparaison rigoureusement tenue exige de se faire « toute chose égale par ailleurs ». Ici, rien « d’égal » : ni le capital culturel, ni le capital matériel, notamment…

Il faut donc, au préalable, « neutraliser » tous les autres paramètres avant de pouvoir comparer quoique ce soit… C’est l’objet de méthodologies créatives et sophistiquées qui construisent une authentique sociologie scientifique, à mille lieux de ces discours de « sens commun »1

Au demeurant, ces « raisonnements » ne prêteraient pas à conséquence s’ils restaient confinés dans le cadre qui leurs sied : le Café du Commerce. Or ces trois personnes ont cru bon d’abuser de leurs magistères pour les étaler en place publique, ce qui est non seulement irresponsable, mais même répréhensible…

La réussite scolaire, autre théâtre de la sophistique xénophobe

Cette problématique est rigoureusement homologue à celle de la réussite scolaire des enfants d’immigrés où, là aussi, les « raisonnements » frelatés vont bon train… Ainsi naguère Claude Guéant prit les mêmes libertés et osait affirmer que « (…)les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés. » en hallucinant des données statistiques issues d’un rapport du Haut Conseil à l’Intégration qui concluait au contraire – précisément en neutralisant les autres déterminants – à une réussite équivalente, voire supérieure, des enfants de l’immigration… De même l’étude approfondie de Yaël Brinbaum & Annick Kieffer confirme une meilleure réussite (toute chose égale par ailleurs), en particulier des filles de parents maghrébins.

Myriam Bourhail, franco-marocaine et meilleur bachelier de France avec 21,03 de moyenne
Myriam Bourhail, franco-marocaine et meilleur bachelier de France avec 21,03 de moyenne

La pente du fantasme d’élimination

Or, si l’on s’en tenait aux résultats scolaires, une politique comptable des deniers publics devrait mettre en œuvre l’expulsion des Français eux-mêmes, puisque pour un investissement public donné, les enfants – en particulier les filles – d’immigrés procurent un retour sur investissement supérieur ! On voit ainsi à quelle absurdité la « logique » de l’expulsion conduit…

Or, dans nulle autre situation que face à la délinquance, la possibilité légalement offerte par le code pénal et le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceséda) d’expulser des individus, libère des fantasmes d’élimination et corrompt les facultés intellectuelles…

La double-peine en embuscade

De surcroît, cette logique qui transpire des propos de notre trio de choc et explicitement du dernier acolyte, pose le problème de la « double-peine ». Or par un bluff jamais dénoncé par nos médias (si prompt pourtant à mettre en avant la certification qu’ils apporteraient à l’Information) la droite a pu prétendre jusqu’à présent que Nicolas Sarkozy avait supprimé la « double-peine », dans le but achevé de déstabiliser le PS – qui, en l’occurrence pouvait aisément l’être…

En réalité, la double-peine figure toujours dans le Code pénal comme dans le Ceséda (Art. L.541-1 renvoyant à l’Art.131-30 du Code pénal) :

« Lorsqu’elle est prévue par la loi, la peine d’interdiction du territoire français (ITF) peut être prononcée à titre définitif ou pour une durée de 10 ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable d’un crime ou d’un délit »

(pour une analyse plus approfondie : CPDH).

Elle apparait aussi, amoindrie, au détour de l’Art. L.313-5 du Ceséda :

« La carte de séjour temporaire peut-être retirée à l’étranger passible de poursuites pénales (…) »

Les peines collectives : symptôme d’une épidémie de dégénérescence neuronale ?

Au risque d’être accusé de droit-de-l’hommisme caractérisé (un des « crimes » les plus graves, de nos jours ;-), il faut rappeler ici combien ces interdictions de séjour introduisent une rupture d’égalité devant la loi, puisque pour un même délit un Français n’en sera évidemment pas passible (encore qu’au train où vont les choses, le rétablissement de l’égalité de traitement pourrait se faire dans un sens non nécessairement heureux : Cayenne est encore dans les mémoires !)

En outre, elles pénalisent bien au-delà de la personne jugée : la personne qui partage sa vie, ses enfants éventuels, etc, qui vont être ainsi privés durablement voire définitivement de l’affection et de l’autorité parentale de la personne bannie, bien plus que s’il s’agissait d’un emprisonnement à proximité de la famille… Elles instaurent des peines collectives de fait, qui, bien qu’en rupture avec le principe d’individualisation des peines, ne semblent plus choquer la classe médiatico-politique.

On garde en mémoire le précédant de ce chef-d’œuvre de tératologie juridique qu’est la loi Hadopi, dont la peine de coupure d’accès, prive d’Internet l’ensemble des personnes d’un foyer et c’est même jusqu’à l’affaire Leonarda où l’intelligentsia française s’est satisfaite du discrédit du père (savamment exploité) pour justifier l’expulsion de toute la famille Dibrani…

C’est cette perte de sensibilité aux principes juridiques démocratiques qui est aujourd’hui la plus inquiétante…

…d’autant qu’elle peut s’accompagner d’une perte de sensibilité au droit lui-même :

À chaque fois q'un ministre est conspué  en – l'occurrence Taubira encore comparée à une guenon –, on ne va pas en faire un gros titre…
Philippe Bilger face au racisme dont est victime la Garde des sceaux

https://twitter.com/BilgerPhilippe/status/394153999378960384

@Emaux (8 décembre 2013)

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1. On ne saurait mieux conseiller à nos élites politiques et médiatiques que de (re?)lire, crayon en main un classique toujours d’actualité : « La formation de l’esprit scientifique » de Gaston Bachelard (Vrin 1938)

#Leonarda Verbatim de l’entretien d’Alain Finkielkraut sur Europe1 16/10/13 (1e)

 

Il s’agit d’un dialogue radiophonique, sur Europe1, le 16 octobre 2013 (19h12). Alain Finkielkraut maîtrise suffisamment sa parole pour qu’on puisse la prendre pour fidèle à sa pensée…

1ère partie sur la politique migratoire en réaction à l’expulsion de la famille de Leonarda

Nicolas Poincaré : – Tout d’abord un mot sur l’actualité du jour qui est l’affaire Leonarda du nom de cette collégienne que l’on est venu chercher dans un bus scolaire et qui a provoqué les protestations d’une grande partie de la gauche. Est-ce que vous aussi vous êtes troublé par cette histoire ?

Alain Finkielkraut : – Je suis troublé par la promotion de cette histoire au rang de grand scandale national. Je suis même effaré.
Une famille Kosovare de six enfants est expulsée au Kosovo, dont je rappelle que ce pays a obtenu l’indépendance et que, à cette indépendance, la France a contribué puisque l’Otan a frappé la Serbie, précisément pour arrêter l’exil des Kosovars. Ce pays est indépendant, ils ne peuvent donc pas se prévaloir, du droit d’asile : ils rentrent chez eux et on a l’impression que ces considérations politiques ou géopolitiques ont complètement disparues, que la morale de conviction l’emporte sur la morale de responsabilité. La morale de conviction, ce sont des gens qui veulent s’extasier de leur propre générosité sans se soucier des conséquences.

Cette jeune fille, Leonarda a été cueillie, si je puis dire, à la sortie d’un car scolaire puisqu’elle n’était pas avec sa famille dans le centre d’accueil et que l’expulsion était prévue pour le 9 octobre.
Le Monde en fait son titre. Pourquoi ?
Pour mettre Manuel Valls en difficulté. Or la gauche aujourd’hui ne tient que parce qu’elle a Manuel Valls et on a l’impression que des gens de gauche veulent, en quelque sorte, sa peau, s’alignant ainsi sur les positions d’Eva Joly – qui, je le rappelle a fait 3% aux élections présidentielles – donc c’est une attitude absolument folle et suicidaire de la part de la gauche. C’est une attitude totalement irresponsable.
Nous ne pouvons pas à la fois militer pour l’indépendance du Kosovo et [à la fois ] pour le droit des Kosovars a bénéficier du droit d’asile dans la situation très difficile que vit la France aujourd’hui.

Où veut-on aller ? C’est-à-dire que si cette gauche-là l’emporte, elle [la France] est ruinée définitivement et je ne voudrais pas avoir à choisir demain entre le Front National et le sans-frontiérisme délirant d’Eva Joly ou de la frange la plus libérale du Médef, qui sur ce point-là se rejoigne.

Si le peuple est soumis à ce choix, il ira vers Marine Le Pen et on n’aura pas le droit de lui reprocher.

Nicolas Poincaré : – Sauf que vous oubliez l’argument de l’école. Vous avez été longtemps enseignant, il y a une pratique en France qu’on aille pas chercher les enfants à l’école…

Alain Finkielkraut : – Elle n’a pas été cherchée à l’école : c’était un autobus et on a attendu que le bus s’arrête.

Nicolas Poincaré : – Vincent Peillon dit : Le bus scolaire, c’est la scolarité…

Alain Finkielkraut : – Oui, mais qu’est-ce qu’on veut ? Qu’elle reste scolarisée et que le reste de sa famille s’en aille et donc qu’elle soit une orpheline dans l’école pour que les gens qui sont avec elle à l’école se disent : « Mais qu’est-ce qu’on est gentil ! » ?
Mais on s’en fout de savoir s’ils sont gentils ; on se demande simplement dans quel monde voulons-nous vivre ? Un monde habitable pour tous les hommes : est-ce un monde où l’Europe est là pour accueillir ceux-là même qui sont censés chez eux, faire prévaloir l’État de droit, construire une société décente. Nous voulons aussi de cette diversité humaine, parce que si nous ne le voulons pas, si nous abolissons les frontières, c’est notre société elle-même qui deviendra forcément un jour ou l’autre, complètement inhumaine.

Alexandre Kara : – Est-ce que la forme, les symboles, c’est pas important pour la démocratie ? Je m’explique : aller chercher quand même une jeune fille comme ça dans ce qui est le prolongement de la vie scolaire, ça peut choquer, ça rappelle des choses de la mémoire collective, vous le savez très bien, c’est pas non plus un hasard. Vous ne pouvez pas dire, c’est juste des droits-de-l’hommiste, des sans-frontièristes qui ne voient que ça, c’est pas vrai !

Alain Finkielkraut : – D’accord ! Invoquons le mémoire. Je ne dis pas qu’il fallait faire les choses ainsi. Je dis que l’expulsion avait été décidée pour le 9 octobre et qu’il était difficile de faire partir le reste de la famille et non cette jeune fille. Donc, il y avait une vraie difficulté.

Mais alors, la mémoire… Peut-être qu’on va avoir droit aux reproches de Vivianne Redding qui parlait de « déportation » pour les Roms : les Roms qui rentraient chez eux avec 300€ !

Alors moi je vais parler de la mémoire au sens individuel – je ne m’en prévaux jamais, mais quand même !
Mes grands parents ont été déportés de France et ne sont pas revenus. Mon père a été déporté à Auschwitz, de France, il est revenu. Mais il est absolument scandaleux de brandir la mémoire pour des gens qui sont renvoyés chez eux, c’est-à-dire dans un pays libre et que nous avons contribué à libérer. La mémoire n’a rien à faire avec ce qui se passe aujourd’hui en France ; il est même – à cause d’un manque de tact, tout à fait réel – il est sacrilège de l’invoquer.

Alexandre Kara? : – Donc on peut arrêter les enfants dans les écoles où dans le prolongement scolaire, sans avoir de problèmes… Vous n’avez pas de problème avec ça ?

Alain Finkielkraut : – Non, non il ne s’agit pas d’une arrestation, il s’agit de lui permettre de rejoindre le reste de sa famille. Elle n’a pas été arrêtée : elle est amenée à rentrer chez elle avec sa famille.
Qu’on le fasse ailleurs qu’à la sortie d’un bus scolaire ? Oui, c’est absolument préférable, mais de là à monter cette histoire en épingle pour fragiliser encore la position de Manuel Valls qui essaye malgré tout de maintenir – dans cette nef des fous qu’est en train de devenir une partie de la gauche – la morale de la responsabilité, je trouve ça, je le répète, complètement délirant.
Qu’on arrête de parler de lepénisation des esprits, car c’est se comporter évidemment en agent électoral du Front National et de la manière la plus nette.

Olivier Duhamel : – Tout ce vous dites est en tant que politologue – ce que vous n’êtes pas, mais pourquoi pas !
Sur le fait qu’il y a des gens qui profite de tout ça pour s’en prendre à Manuel Valls, vous avez absolument raison. Mais puisque vous faites le politologue, permettez-moi de faire le philosophe, du coup !

L’éthique de la conviction que vous décriez au profit de l’éthique de la responsabilité ; je vous signale que, et Max Weber, et tous ceux qui ont suivi sa pensée là-dessus disent que la vraie difficulté est de marier les deux, de ne pas sacrifier l’une à l’autre, car l’éthique de la responsabilité ça conduit à la Realpolitik la plus cruelle et l’éthique de la conviction, à l’utopie la plus inutile.

Ce que je ne comprends pas dans le départ de votre sidération, de votre offuscation, du scandale de ce que pour vous on se mobilise pour cette jeune fille du Kosovo, c’est que vous dites qu’il s’agit d’un État indépendant. So what !
On a le droit, nous Français, d’émigrer dans d’autres pays. Des multiples personnes, venant d’États indépendant peuvent venir demander à vivre ensemble. Ce n’est pas parce que le Kosovo est devenu indépendant que ce serait un scandale qu’une famille kosovare souhaite venir ensemble…

Alain Finkielkraut : – D’abord, la morale de responsabilité est invoquée par Max Weber contre la morale de conviction pour les politiques ; je ne fais pas le politologue, je fais le lecteur. Il dit c’est une morale qui se soucie des conséquences et moi je pense toujours à cette phrase de Raymond Aron, jeune, qui fait une brillante conférence devant un attaché des affaires étrangères, dans les années 30 ; elle est absolument magnifique et l’attaché lui dit : « C’est bien, mais qu’auriez-vous fait à la place du ministre ? ». Et moi, lorsque j’essaye de réfléchir, je me pose toujours cette question – dans la mesure où nous vivons dans un État de droit. Si nous étions dans un État totalitaire, je ne me dirais pas : qu’aurais-je fait à la place du ministre ? Eh bien ! Je pense qu’à la place du ministre, je ferais très attention évidemment à maîtriser, contrôler et réduire l’immigration en France, aujourd’hui.

Olivier Duhamel : – En quoi est-ce qu’un Kosovar n’a pas le droit d’émigrer ?

Alain Finkielkraut : – Je pense aussi en effet qu’on ne peut pas réclamer systématiquement – parce que la politique c’est une responsabilité générale, c’est une responsabilité collective – le beurre et l’argent du beurre.
Les Algériens n’ont pas conquis leur indépendance pour réclamer des visas pour la France. S’ils le font, c’est parce que leur État est ruiné, c’est pas à cause du colonialisme. Il s’agissait pour les Algériens de bâtir une Algérie solide. Si on dit aux meilleurs, aux jeunes étudiants : « Venez profiter d’une vie beaucoup plus facile et des droits que nous avons conquis en France, ces pays-là ne démarrerons jamais et notre Europe s’effondrera. Donc ce n’est pas du tout comme cela qu’il faut procéder. Ce n’est ni souhaitable pour eux, ni souhaitable aujourd’hui, dans l’état actuel des choses, pour nous et il est légitime que la gauche le dise. Ce n’est pas un discours de droite ou d’extrême-droite. Renvoyer ce discours à l’extrême-droite, ça fait partie de la nouvelle logique de la nef des fous.

Olivier Duhamel : – Mais là logique de ce que vous dites, c’est que du coup un Algérien n’a pas le droit de venir en France ? Un Kosovar n’a pas le droit de venir en France ?

Alain Finkielkraut : – La France n’est pas un droit de l’homme, c’est tout !! La France n’est pas un droit de l’homme.
L’indépendance de l’Algérie n’était pas faite pour réaliser l’intégration franco-algérienne. De Gaulle a choisi la voie de l’auto-détermination précisément pour séparer. La séparation des peuples, c’est pas de dresser des murs, c’est de permettre à la diversité du monde de se déployer et aux nations d’avoir un sens. On ne va pas non-plus transformer les nations en salle des pas perdus parce que c’est vrai que dans les aéroports, tout le monde est à égalité, peu importe le lieu d’où l’on vient, l’identité que l’on perpétue sauf que précisément les nations ne sont pas des aéroports et je crois qu’elles ne sont pas vouées à le devenir.

Emaux (17 octobre 2013)

Comment l’extrême-droite pollue les réseaux sociaux

On sait qu’aussi loin qu’on remonte, l’extrême-droite fait un abcès de fixation sur l’immigration. Les immigrés en particulier fraîchement arrivés sont désignés comme responsables de tous les problèmes socio-économiques que rencontre l’Europe vieillissante. En France, les lois Pasqua, en abrogeant le droit du sol, ont supprimé la voie naturelle d’intégration qui fertilisait le creuset français. Elles ont créé un échelon nouveau à la base du système de caste français, celui « d’étranger en situation irrégulière », c’est-à-dire dépourvu de droit au travail déclaré et par conséquent à toute la protection sociale dont il constitue le socle.

Le règne de Nicolas Sarkozy – en tant que ministre de l’intérieur et président de la République – a vu une accumulation obsessionnelle d’amendements au Code des étrangers (Ceséda) visant à maintenir un stock toujours plus important de « sans droits ». La motivation permanente de cet empilement de « lois » était de fermer autant que possible les voies, dites de régularisation et donc d’accès aux droits accordés aux étrangers « réguliers ». L’objectif collatéral était de dessaisir les magistrats du pouvoir de statuer sur ces situations, pour le transmettre au pouvoir discrétionnaire des préfets.

Le pouvoir des mots

Afin de se laver de toute culpabilité de réinstaurer un quasi-esclavagisme, la Droite a forgé le terme de « clandestin » et effectivement le « travail dissimulé » auquel ces étrangers sont confinés par le Ceséda donne-t-il corps à la fiction de « délinquants » venus furtivement « voler le travail des Français »… Fiction gravée dans la loi et c’était même jusqu’à décembre 2012 le simple maintien sur le territoire national qui était pénalisé…

Cette fiction s’inscrit dans le paradigme « intellectuel » que les économistes ont identifiés comme malthusianisme et qui nourrit la croyance de « Café du Commerce » que l’économie nationale ne pourrait supporter l’arrivée de nouveaux migrants, en particulier en période de chômage de masse…

https://twitter.com/Chris5238/status/191232412590682112
Exemple de paradigme malthusien

Et l’on se souvient que le gouvernement de Vichy justifiait l’enfermement, notamment des Juifs, par la mention « en surnombre dans l’économie nationale ».

En surnombre pour l'économie nationale
Motif d’internement dans les camps en 1941

Mais mon objet n’est pas aujourd’hui d’analyser la concrétion d’inepties qui constituent cette idéologie : j’y reviendrai ultérieurement…

L’invention des « Sans-papiers »

À l’opposé, la Gauche, soucieuse de démontrer le caractère formel des justifications à ce statut de paria, a forgé le mot de « Sans-papiers », qui les réintègre parmi les « Sans » : sans droits, sans capital, sans domicile, etc – avec un certain « succès » puisqu’il a même traversé nos frontières pour être utilisé dans de nombreuses langues…

Jusqu’à l’automne 2011, ce mot, abhorré par l’extrême-droite, était systématiquement évité par elle et remplacé par celui de « clandestin ». Le site fdesouche.com était caractéristique à cet égard puisqu’il expurgeait de cette mention toutes les brèves relatives à l’immigration pour les recouvrir de l’opprobre attaché au mot « clandestin ».

Le résultat de ce scotome était que chaque bord œuvrait à son combat séparément, entretenant la schizophrénie de l’opinion publique pour laquelle, à l’opposé des « mauvais étrangers » qui s’immisçait pour dérober le travail des « bons Français », subsistaient les « bons étrangers » qui travaillaient durs aux emplois dont les Français ne voulaient pas et que des politiciens cyniques et corrompus maintiennent « sans papiers » par pure démagogie électorale.

Changement de tactique à l’extrême-droite

C’est aux prémisses de la campagne de 2012 que les militants d’extrême-droite comprirent que leur phobie était contre-productive à leur propagande. Ils décidèrent de (ré)endosser le mot Sans-papiers pour mieux le salir.

https://twitter.com/olivierpaus/status/205365066088984576
Jeu de confusion des mots

Depuis des années, avec la complicité passive de la Presse, tous les articles relatifs à l’immigration sont souillés de commentaires mensongers, par une poignée de militants d’extrême-droite – ce avec un résultat certain.

Les réseaux sociaux, chaque jour plus prégnants, connaissent dorénavant le même sort… C’est ainsi en particulier que Twitter, dont on sait que le lectorat est nettement à gauche, est soumis à une campagne de pollution massive et systématique depuis des mois.

Cette manipulation a commencé en 2011, notamment par des tweets relayant les mensonges habituels qui amalgament immigration et abus de protection sociale…

https://twitter.com/BrutalGrind/statuses/141515498239164416

… et simultanément par des « gags » dont le trait commun est le caractère dépréciatif associé au mot « sans-papiers » et, pour le résumer d’un mot, souvent : la bassesse.

https://twitter.com/_NathanRL/status/319916568551231488

https://twitter.com/_NathanRL/status/319916568551231488

Autre exemple de « gags » exploités jusqu’à la lie :
https://twitter.com/TAGGLE_BUBBLE/status/152896438194536448

https://twitter.com/TAGGLE_BUBBLE/status/152896438194536448

Afin de déguiser la véritable identité de ces tweets, cette campagne prend pour vecteur de faux comptes, plus sophistiqués que ceux dit zombies, achetés et détectables par les services en ligne. Ces comptes en l’occurrence, sont censés être ceux d’adolescents – de préférence à la peau colorée.

https://twitter.com/Kid_Doudou/status/328993328320352256
https://twitter.com/Boomtance/status/328576519884648449

L’exotisme apparent cherche ici (par une polarisation négative) à nous éloigner le plus possible de la véritable origine, bien « blanche », de ces sources…

https://twitter.com/Alioune999/statuses/141985624835104770

Le gain à simuler le style ado réside en ce que les flux twitter des authentiques adolescents sont largement solipsistes (à l’instar de ce faux ci-dessus) : il est donc peu nécessaire de créer de (faux) dialogues, encore moins de trouver des liens externes à recommander, car ces deux traits, d’un usage plus mature exigeraient plus d’élaboration, serait alors coûteux et plus facilement détectable.
Il est ainsi beaucoup plus facile de débiter des tweets et d’autant plus facilement que l’orthographe en sera – plus ou moins délibérément – « explosée »…

https://twitter.com/swagg_fou/statuses/321359800044769281

Au demeurant, il n’est pas possible de produire des centaines de retweet sans attirer l’attention et, par exemple le tweet ci-dessus, œuvre d’un parfait inconnu, mais retweeté 52 fois (et placé 6 fois en favori !) le rend hautement suspect (même si sa puissance poétique confine au génie ;-).

De même la salve de retweets ci-dessous – à moins d’une minute d’écart parfois – est parfaitement artificielle ; seuls, des évènements exceptionnels peuvent produire pareil train de tweets… C’est en l’occurrence pour moi l’œuvre d’une poignée de militants « amateurs »…

Salve de retweets

C’est pourquoi les agences – car, il ne fait aucun doute pour moi qu’une agence est aussi derrière une partie substantielle de cette campagne – préfèrent user de clones de tweets quasi-identiques émis sur des comptes différents et selon un ordonnancement temporel moins mécanique… Pour démontrer mon propos, j’ai collationné une toute petite, mais déjà bien indigeste anthologie où l’on retrouve quelques-uns de ces tweets classés par souche avec un échantillonnage de clones produits. Agrégés, ces exemples révèlent l’orchestration puisque une multitude de tweets censés être œuvre individuelle dérivent du même modèle parfois même sans variation.

Voici un exemple de clone (sans RT, donc) de la même souche que celui cité plus haut, d’@Alioune999 (et émis le même jour mais à presque 10h d’écart) :
https://twitter.com/FranckObOw/statuses/141662959561744386

https://twitter.com/FranckObOw/statuses/141662959561744386

Autre exemple d’une matrice exploitée depuis 20 mois avec de nombreuses et substantielles variantes… :
https://twitter.com/LiliaNeverson/statuses/321367226567512064

https://twitter.com/LiliaNeverson/statuses/321367226567512064

Le compte @LiliaNeverson initialement s’intitulait Scarlette mais présentait déjà en fond un bébé en Hijab… Depuis, il a été renommé AlgeriHaine : l’inconscient parle de lui-même ! (on notera que le faux-compte @onloxe93 intitulé « ¡ jmen fou de ouf ! » est devenu privé depuis la copie d’écran ci-dessus : voir ci-dessous. Il ne peut plus servir jusqu’à nouvel ordre à la campagne, mais est ainsi protégé d’une inspection et d’une suppression par Twitter…)

On constatera que l’immense majorité des tweets restent en apparence politiquement neutre. La leçon a été tirée de ce que les manifestations d’extrémisme se disqualifient d’elles-mêmes, comme ce tweet :
https://twitter.com/CercleVoltaire/status/222638546551451648

https://twitter.com/CercleVoltaire/status/222638546551451648

Leçon qui fonde la stratégie de « dédiabolisation » du Front National et que seul, l’arrivisme de Frigide Barjot ruine en affranchissant les néonazis que Marine LePen « cachait dans des caves » – pour reprendre l’expression d’un connaisseur : Alain Soral !

Mais le Front National n’est jamais loin :
https://twitter.com/EmmaKT1/status/317363842344701953

https://twitter.com/EmmaKT1/status/317363842344701953
https://twitter.com/hamid574/status/203274615580147712

Notamment dans ce tweet aux 78 retweets ! :
https://twitter.com/QuentinWrt/status/331417776080171008

https://twitter.com/QuentinWrt/status/331417776080171008

Le racisme non plus ! (compte qui s’appelait « Nium Nium », il y a encore 3 jours…) :
https://twitter.com/MOOUSKOS/status/315941548191784960

https://twitter.com/MOOUSKOS/status/315941548191784960

Mais, me direz-vous, puisque ces tweets sont neutres, quelle preuve avez-vous qu’ils s’originent eux aussi dans l’extrême-droite ?

Formellement : aucune. Ce n’est qu’une intuition fondée sur un faisceau convergeant d’indices…
1. La synchronie entre l’apparition des tweets identifiables comme d’extrême-droite et le début du train de pollution à la fin septembre 2011.
2. Les salves de retweet de lepenistes, à l’instar de celui, cité plus haut et qui trahit une campagne menée aussi par des militants du FN
2. La « couleur noire » des comptes « pollueurs » ou/et avec des noms à consonance musulmane

3. La connotation systématiquement dépréciative de ces tweets
4. Le registre « colonial » de mots récurrents d’insulte comme « blédard »
https://twitter.com/_Awaa/status/329010546512916480

https://twitter.com/_Awaa/status/329010546512916480

5. Le « parfum » des photos associées et des propos qui transpirent les rapports de domination notamment raciale, d’humiliation à connotation sexuelle (dérivant jusqu’à la pornographie) qui sont la marque de fabrique du fascisme et qui, en outre sont souvent incohérents avec les auteurs prétendus…

Exemple de faux-compte ouvertement pornographique qui ré-émet une variante d’une souche surexploitée et à parfum raciste :
https://twitter.com/Pornographeur/status/232551921251131392

https://twitter.com/Pornographeur/status/232551921251131392

Exemple d’un compte authentique relayant la propagande fasciste jusqu’à la caricature :
https://twitter.com/PatrickAceti

https://twitter.com/PatrickAceti
https://twitter.com/PatrickAceti/statuses/321572752639287297

Mais la force de cette campagne fétide – arrivant après 30 ans de propagande sécuritaire : de plan Vigipirate en « nettoyage au Kärcher » des gouvernements successifs et de leurs relais : les médias audio-visuels – c’est que de véritables ados peuvent se laisser entraîner à y participer sans avoir conscience d’être manipulés…
Et c’est aussi ce qui complique ma tâche de démasquage !

Tout ça pour quoi ?!

Au demeurant, on peut légitimement s’interroger sur l’efficacité d’une telle opération. Autant la pollution des articles de Presse est efficace parce qu’elle instille à tous les lecteurs des commentaires, le venin des mensonges concernant la prétendue délinquance des étrangers, autant la production de ces batteries de tweets n’affecte que ceux qui veulent bien les lirent – par exemple, parce qu’ils veillent #Sans-papiers, comme moi ;-)

Même si la porosité de Twitter – qui est une de ses plus grandes qualités – incline les noiseux et autres trolls à venir y déverser leurs excès bilieux, n’en sont troublés que ceux qui veulent bien « suivre » ces atrabilaires…
Si au temps de #Botzaris36, nous étions freinés par quelques fâcheux qui mettaient leur égo en travers de notre combat, ce n’est que parce que ce mot-dièse nous servait de canal de communication externe…

Mais pour ce qui nous concerne aujourd’hui : qui, est confronté à cette campagne de dénigrement des Sans-papiers, à part des convertis au fascisme de longue date comme les lecteurs d’fdesouche ?…  Pas beaucoup de monde ; il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le nombre dérisoire de suiveurs authentiques de ces pseudo-comptes…

@Emaux (17 mai 2013)

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