Pourquoi le Manifeste pour les migrants de Médiapart, Politis et Regards n’est pas défendable

    La pétition de Médiapart, Politis & Regards donne lieu à un insistant prosélytisme qui interroge alors même que le texte qui en est le support n’apporte rien de neuf et semble, au mieux vain, au pire contre-productif. En tant qu’activiste en soutien au droit des étrangers depuis 12 ans, je n’ai pas le goût des querelles de chapelle, aussi je m’en tiendrai ici au contenu du manifeste lui-même, dont l’inconsistance interdit d’y souscrire.  

https://youtu.be/wv_A69x39iY?t=453   

On est tout d’abord surpris par la dramatisation de son ouverture comme si la politique de la France ou de l’Union Européenne s’étaient brutalement aggravées. En réalité, cette politique s’initie en France au moins en 1993 avec Charles Pasqua et la suppression du plein droit du sol, largement responsable en 1996 de la crise de l’église Saint-Bernard sous Alain Juppé, même si, c’est sous Nicolas Sarkozy que l’on est passé à une gestion de masse des expulsions d’étrangers pour laquelle ce dernier fit construire 21 nouveaux camps d’internement –  dans un sidérant silence médiatique.  En même temps (sic) en 2008 la directive retour dite « directive de la honte » fut concertée entre tous les ministres de l’intérieur de l’Union Européenne dans les lieux mêmes où fut écrite les lois xénophobes et planifiée la Shoah, à Vichy, sans susciter d’autres réactions que celles d’activistes (véritable source de l’affaire dite de Tarnac…) 

 Or cette politique est depuis 10 ans responsable d’un lot de torturés voire suppliciés couvrant de leur sang, les mains des Européens. C’est là, dans les geôles de dictatures, que se joue la véritable tragédie que le manifeste se garde bien d’évoquer.  

À gauche, on a dès cette époque compris que le populisme de Sarkozy (et, plus tard de Valls) convertit le juste ressentiment des citoyens européens contre la paupérisation que l’UE leur impose, en une haine des étrangers accusés de venir les spolier et qui rend insensible aux traitements dégradants qu’on inflige à ces derniers. 

L’efficace torve de cette stratégie tient à ce que dans la même temps qu’on désigne l’étranger comme «  ennemi de l’intérieur »  –  validant le discours séculaire de l’extrême-droite – le pouvoir accroit le nombre de Sans-papiers au rythme de +6% par an (comme je l’ai montré ailleurs) pour faire le bonheur d’un patronat véreux qui, intéressé, finance les campagnes aussi bien de Sarkozy que d’Emmanuel Macron !… 

Or, contrairement à ce qu’affirment le manifeste, ces quasi-esclaves évitent de devoir rémunérer la pénibilité ; c’est pour cela que ce patronat les aime au point de ne pouvoir s’en passer. Au demeurant, ces étrangers ne concurrencent pas pour l’instant les Français, ils concurrencent « seulement » des étrangers en situation régulière (ce qui n’est pas plus « satisfaisant » ). Si dans le futur, Macron oblige les chômeurs (et je ne parle pas des retraités !) à prendre un emploi à n’importe quel prix – sur le modèle allemand – les choses pourraient empirer.

C’est notamment pour cette raison qu’il est urgent d’exiger la régularisation de tous les Sans-papiers, mais le manifeste n’en parle pas. 

Le plus grave est que les rédacteurs du manifeste se garde de nommer les responsables de cette situation. C’est pour moi rédhibitoire : je ne m’engage que si les responsables sont explicitement désignés. Nos rédacteurs évoquent « l’extrême-droite » dont personne n’est capable de décrire correctement le périmètre, pas plus, du reste que celui de la « gauche » qui recouvre parait-il, les élus du PS, alors que la plupart même des « frondeurs » comme d’EELV ont voté les pires lois liberticides sous le précédent quinquennat. 

Le malaise s’amplifie lorsqu’au quatrième paragraphe, on lit, en forme de menace future : « Il est illusoire de penser que l’on va pouvoir contenir et a fortiori interrompre les flux migratoires. À vouloir le faire, on finit toujours par être contraint au pire. La régulation devient contrôle policier accru, la frontière se fait mur. Or la clôture produit, inéluctablement, de la violence… et l’inflation de clandestins démunis et corvéables à merci. » 

Les rédacteurs ont-ils conscience que ce « futur » est déjà une réalité présente depuis, au moins 11 ans et pas seulement à Calais ?  

Quant à la situation récente dont « l’évènement » est la perte de pavillon de l’Aquarius, pourquoi n’est-t-il pas pointée la responsabilité massive de l’UE dont le bras armé, Frontex arraisonne tous les bateaux qui, conformément au code de la mer sauvent les exilés en perdition ?  Pourquoi ne pas se prononcer sur les négociations de Frontex avec « la Libye » afin «  qu’elle » empêche les migrants de traverser la Méditerranée, c’est-à-dire viole et torture indéfiniment ?  Pourquoi ne pas dénoncer la demande par l’UE d’externaliser les « hotspots » aux pays du Maghreb i.e. de construire des camps « hors droits de l’homme » afin de contenir la traversée des subsahariens, c’est-à-dire les éliminer ? 

Quant à la prétendue « crise des migrants » qui mobilise toute l’attention des responsables de l’UE, comme des médias, on ne peut passer sous silence la responsabilité de l’Otan dans la transformation du Moyen-Orient en un champ de ruines et au premier rang de laquelle, celle de la France, qui de retour dans le giron de cette organisation a fourni sous Sarkozy des outils informatiques de surveillance d’Internet à Bachar al-Assad ˆ1 (comme l’a montré, Olivier Tesquet, avec la bénédiction de l’UE) permettant au « Boucher de Damas » en 2011 d’identifier et supplicier les meneurs de l’opposition démocratique. Puis, changeant de camp, la France a fourni des missiles anti-chars (Milan) à Daech qui ont conduit au pilonnage par barils de TNT emplis de boulons – bombes à sous-munitions artisanales  –  sans indignation de la « Communauté Internationale » et finalement la quasi-destruction de la Syrie. La France est ainsi coresponsable de l’exil de la population syrienne, peut-on se contenter d’en appeler à un accueil qui de toute façon, va de soi puisqu’il relève du droit d’asile (ou de la « protection subsidiaire ») sans exiger la sortie de l’organisation criminelle qui nous rend complice de leur exil ? 

Sur tous ces points brûlants, le manifeste ne dit rien.

 C’est pourquoi il n’est pas surprenant que « l’extrême-droite » évoquée vaguement prospère puisque tous les éditocrates, les fonctionnaires de l’UE et les gouvernements successifs indiquent qu’il y a « un problème » et qu’elle a raison, sauf que le peuple constate que les immigrés augmentent (en réalité, très faiblement) et est, par conséquent de plus en plus tenté par « l’original plutôt que par la copie »… 

Cette pétition passe ainsi à côté de la complexité du réel et donc des difficultés que rencontre la migration, alimentant dès lors le procès permanent en irresponsabilité de la gauche par la droite. Cette dernière a-t-elle encore besoin d’être aidée en cette matière ?…  

Emaux/Twitter sur  Mastodon/@emaux

(le 11 novembre 2018)

Emaux (Avatar)

     

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  1. On pourrait, de façon semblable rappeler la fourniture d’un système équivalent à Kaddhafi par l’entreprise Amesys, (alors française), révélée par le site Reflet.info et confirmée sur place par le journaliste Paul Moreira. Ce « rapprochement » avec la France se soldant par l’implosion de la Libye, avec les conséquences migratoires que l’on sait…

La « circulaire Valls » a-t-elle permis d’améliorer la situation des étrangers irréguliers ?

À @zeyesnidzeno

 

L’homme fort du Gouvernement s’est répandu de JT en interviews pour nous dire la fin de l’arbitraire préfectoral qui altérait l’égalité de tous devant la loi : grâce à « sa » circulaire (du 28 novembre 2012), les mêmes critères détermineraient dorénavant la régularisation des étrangers « sans-papiers ». En outre, les promesses électorales de François Hollande seraient tenues…

Après 20 mois de mise en application, il est temps de faire le bilan de la situation concrète des étrangers « en situation irrégulière » dans notre pays.


Le pouvoir discrétionnaire est la source de l’arbitraire préfectoral

Or, il suffit de prendre le 2e paragraphe de la circulaire ministérielle, dès la première page pour y lire que d’égalité sur le territoire, il n’en sera rien :

« La présente circulaire a pour objet de rappeler et de préciser les critères permettant d’apprécier une demande d’admission au séjour (…) » et page 2 :
[La présente circulaire] est destinée à vous éclairer dans l’application de la loi et dans l’exercice du pouvoir d’appréciation qui vous est reconnu par la législation »

Ce deuxième paragraphe répète le même objectif en le réinscrivant explicitement dans le cadre du pouvoir discrétionnaire des préfets – pouvoir rappelé de façon récurrente au long des articles par des « vous pouvez » (et non « vous devez ») voire par l’invocation explicite du pouvoir discrétionnaire du préfet. Et l’on sait que ce pouvoir va jusqu’à un « je ne l’appliquerai pas » chez certains – et qui ne s’en cachent pas !

On comprend ainsi que des variations substantielles subsisteront selon les départements et même selon les salles (sic), quoiqu’en dise le Ministre… À Paris, la salle Asie-Océanie qui accueille les ressortissants de ces continents est toujours soumis à un régime de terreur, nonobstant les changements de préfets, de majorité et même de cheffe de salle (pour trafic de titre de séjour…) qui justifie l’appellation par les militants de « dragons de préfecture » à l’endroit de ses fonctionnaires…

Ainsi pour un couple de parents rentrant pleinement dans les critères de la circulaire, la préposée s’acharne sur la femme qui (comme souvent) peine à prouver une activité professionnelle (à temps partiel). Finalement, l’accord est obtenu pour la carte de séjour. C’est au moment de partir que la préposée lui lance alors d’un doigt levé : « – Si dans un an vous n’avez pas de fiche de paye, ce sera code 10, Madame, code 10 !! ». Menace au sadisme absurde puisque cette expression absconse du Code de la Sécurité sociale n’a de sens que pour la première demande de titre de séjour…

Quelque temps après, cette Chinoise me confiera : « Tous les Français sont racistes »…

 

Les tracasseries administratives imposent des mesures d’hygiène mentale aux préposés

En outre, la circulaire s’appuie explicitement sur l’Application de Gestion des Dossiers de Résidents Étrangers en France (AGDREF) : logiciel (inchangé) de gestion des dossiers de titre de séjour de l’intranet du ministère de l’Intérieur accompagné d’un manuel à l’usage des préposés formés depuis des années à faire de la plus petite lacune dans un dossier un motif de rejet rédhibitoire. Par exemple, tous les extraits de naissance doivent être délivrés par la commune d’origine – non l’ambassade – et avoir moins de trois mois [sic], ce qui est commode lorsqu’il faut, après l’avion, quatre jours de 4×4 pour rejoindre la dite-commune (lorsqu’elle existe encore et n’est pas sous les tirs de Kalashnikov…).
En principe, seules deux preuves par années de présence de « valeur probante réelle » sont nécessaires. En pratique, ce sera au moins quatre, espacées tous les trois mois et de sources différentes, etc

Ces fonctionnaires n’ont pas changé leurs habitudes tant elles sont devenues automatiques sinon pour les rendre plus tatillonnes encore : les factures et relevés, de plus en plus souvent imprimés via Internet « doivent être authentifiés par un agent des services concernés. Vous comprenez Monsieur, sinon ça serait trop facile…» Effectivement ! Cette vocation de l’informatique n’est manifestement pas celle de l’Administration…

Ces habitudes de gestion des dossiers sont inchangées aussi parce que cela provoquerait des révisions psychologiquement déchirantes ; pouvoir se regarder dans la glace le matin alors qu’on effectue tous les jours un travail ignoble suppose la construction d’une armure qu’une banale circulaire interprétative n’est pas près d’égratigner…

À une personne dont la carte de séjour avait finalement été accordée au bout de 12 ans, par le cabinet du préfet, le préposé impose une dernière humiliation, un inutile ultime interrogatoire, notamment sur ses modes de transport :
« – Combien de temps, vous mettez pour votre travail ? »,
Mme J. répond « à côté » sa durée hebdomadaire de travail,
« – NOON ! Combien de temps, vous mettez pour votre travail ? » s’énerve le guichetier, sans obtenir la « bonne » réponse (et sans rétablir sa phrase incorrecte). À la troisième occurrence de la question ne variatur, j’interviens en rectifiant la syntaxe incorrecte afin que cesse ce jeu sadique, bien que la jolie chinoise n’aie pas perdu l’imperturbable sourire qui frustrait l’interrogateur de sa misérable jouissance.

 

Mais qu’en est-il des promesses électorales ?

À l’exception relative des parents d’enfants scolarisés, la circulaire ne fait que reprendre la jurisprudence actuelle et n’apporte donc rien de nouveau.

C’est seulement le cas des parents d’enfants scolarisés qui, de prime abord, semble s’inscrire dans le respect des promesses de François Hollande : la régularisation après cinq années de présence en France.
Or la condition supplémentaire – en apparence légère – d’avoir un enfant scolarisé depuis trois ans révolus, percute cette promesse en exigeant bien souvent sept voire plus d’années de présence.

Pour le comprendre, considérons le cas simple d’un jeune couple dont le pays en guerre ne laisse aucun espoir de vie à moyen terme, par exemple parce qu’ils appartiennent à une (ou des) minorité(s) persécutée(s). Ces étrangers décident de migrer dans un État qui se vante d’être la patrie des Droits de l’Homme. À peine parvenus dans ce pays de cocagne et charmés par l’accueil débonnaire de Manuel Valls, ils décident de s’y installer et d’y faire un enfant. Leur jeunesse les conduit à y demander l’asile – sorte de roulette russe à cinq cartouches – et ainsi, se retrouvent bientôt Sans-papiers. Enthousiasmés par le programme électoral de François Hollande, ils se précipitent en préfecture au terme des cinq ans promis et se voient recevoir un refus du fait que leur enfant n’a achevé qu’une année de scolarité. Il découvre alors que ce n’est pas cinq années, qu’il va leur falloir travailler au noir, mais au moins sept ans. La promesse de François Hollande n’est donc pas véritablement tenue…

Cette discrimination à l’égard des couples dont l’enfant nait en France (ou arrivent avec un enfant très jeune) est d’autant plus stupide qu’il est dans notre intérêt que les enfants de migrants effectue toute leur scolarité en France car c’est leur donner le maximum de chances de faire une scolarité satisfaisante malgré le handicap de ne pouvoir être aidé par des parents qui maîtrisent mal la langue française…

Dans mon exemple, j’ai supposé que ce couple bénéficie de la « bienveillance » du préposé en ce que ce dernier refuse de prendre leur dossier. Dans le cas contraire, ils pourraient tout aussi bien se voir notifier un refus assorti d’une Obligation à Quitter le Territoire Français (OQTF) sous un mois. Leur histoire pourrait dès lors se finir de façon tragique – ce qui n’est, hélas pas une « hypothèse d’École »…

 

La circulaire Valls a-t-elle permis de réduire le nombre de Sans-papiers ?

De façon transitoire, le nombre de régularisations aurait augmenté de 50%, colportent les médias de façon inconsidérée. En effet, la méthode de calcul du ministère de l’Intérieur n’a aucun fondement juridique comme je l’ai expliqué ailleurs. Ce n’est donc pas l’approche pertinente de la question. De plus, le ministère est dans l’incapacité de mesurer l’impact de cette circulaire, parce que plusieurs biais viennent fausser leurs chiffres (c’est pourquoi, il ne faut pas effectuer les calculs d’une année sur la précédente, mais selon un certain lissage).

Ainsi, afin de masquer l’échec de la politique répressive qui, malgré son durcissement, n’a pu juguler l’augmentation continue de l’immigration non-européenne, les préfets ont mis en œuvre en 2011 et 2012, des techniques dilatoires destinées à différer la régularisation de personnes présentant toutes les conditions légales pour l’être, ce afin d’essayer de présenter aux électeurs de la présidentielle des « résultats » en apparence favorables et, de fait les chiffres ont, en apparence, baissés…

Premiers titre de séjour délivrés par pays et motifs

http://www.insee.fr/premier titre de séjour

 Ainsi, une des méthodes utilisées pour les étrangers attestant de (plus de) 10 années de présence en France et donc régularisables à ce titre après passage en commission de titre de séjour (CST), consistait à ne pas les convoquer à la dite-commission ou à ne pas réunir cette dernière ;-). Les Sans-papiers étaient ainsi contraint de revenir tous les trois mois chercher un « récépissé de dépôt de dossier » donnant droit au séjour mais sans autorisation de travail. J’ai ainsi accompagné plusieurs personnes perdant à chaque fois une demi-journée tous les trois mois durant jusqu’à deux années (huit récépissés de trois mois !)… Les préfectures étaient ainsi saturées de récépissés à remplir mais c’était le prix à payer afin de piper les statistiques : c’est aussi ça « la politique du chiffre » !

Ainsi pour l’une d’entre elles qui présentait les preuves de treize ans de présence en France, le préposé, devant mes protestations pour nous avoir déjà annoncé quatre fois le passage en commission, accompagne la fabrication d’un nouveau récépissé d’un : « Vous comprenez, si on vous régularise, avec votre carte vous allez régulariser votre mari au titre de cinq ans de vie commune… » (ce qui constituait effectivement mon plan – parfaitement légal…)
Vendeuse à la sauvette, risquant tous les jours de se faire arrêter depuis treize ans, cette dame ne supportait plus qu’on lui interdise de travailler légalement. À bout, après le cinquième récépissé sans autorisation de travail, elle allait s’effondrer ; je lui saisi alors vigoureusement le bras sous le bureau en lui glissant à l’oreille : « Tenez-bon ! » afin de ne pas laisser au guichetier la jouissance d’un minable pouvoir.
Je demande alors à ce dernier d’ajouter la mention « avec autorisation de travailler » :
– Je ne peux pas ,
– Mais si, vous pouvez !
– Ça ne dépend pas de moi…
Sortant de ma nécessaire réserve :
– Vous avez conscience que vous obligez cette dame à travailler au noir !
Me toisant comme si j’étais un demeuré :
– Bah, évidemment !
en haussant les épaules…

 

Aussi lorsque François Hollande prit le pouvoir un important « stock » de Sans-papiers régularisables s’était formé, notamment de personnes présentant (plus) de 10 ans de présence en France.

Lorsqu’en novembre 2012, la circulaire fut publiée, commença une période de désorganisation : les rendez-vous des étrangers relevant de la loi (Ceséda) furent temporairement « suspendus » au profit de ceux relevant de la circulaire, de sorte que nous avions intérêt à passer tous les dossiers de 10 ans (Ceséda) qui le pouvaient, en dossier circulaire (d’autant qu’ils sont plus légers) : 5 ans de présence, parents d’enfants avec 3 ans de scolarité (opération qui dans le jargon administratif était qualifiée du poétique : « déstockage »), de sorte qu’un grand nombre de régularisations par la circulaire auraient eu lieu, de toutes façons, mais par la loi…

Il faut garder à l’esprit que la politique de durcissement de ces dernières années a principalement pour effet d’accumuler des personnes régularisables, notamment au titre de 10 ans de présence, qui ont, dès lors, de fortes chances d’avoir un enfant scolarisé pendant 3 ans… Accumulation amplifiée par les méthodes dilatoires évoquées plus haut.

La circulaire n’aura même pas permis un retour à la tendance de 2010 en dépit du fictif « bond des régularisations ». Il suffit pour s’en convaincre d’observer sur le tableau ci-dessus que la croissance des premiers titres de séjour s’élevait à environ 2% par an entre 2006 et 2010 [(202519/186993)^(1/4)] alors que la tendance en 2013 lissée depuis 2010 n’est que de 1% [(208723/202519)^(1/3)]

En fait, le gouvernement Ayrault a freiné la délivrance de première carte de séjour, plus que les gouvernements de Sarkozy successifs !

En effet, il ne faut pas raisonner en valeur absolue mais en valeur relative à la croissance des entrées d’irréguliers que l’on peut estimer d’autre part grâce au nombre de bénéficiaires de l’AME.

 

L’augmentation continue des bénéficiaires de l’Aide médicale d’État (AME)

Or, en dépit, de toutes les régressions des droits, des brimades, déploiement de police, etc, l’immigration en France poursuit inexorablement sa progression d’environ 7% par an [(263962/146297)^(1/9)] depuis le début des années 2000 comme l’atteste une fois encore la croissance soutenue (>10% en 2013) du nombre des bénéficiaires de l’Aide médicale d’État.
L’accumulation de Sans-papiers croît ainsi de plus de 7-2 = 5% par an, sous Sarkozy et de 6% par an sous Hollande ! Cette croissance n’est évidemment pas soutenable et la France sera contrainte à court ou moyen terme, d’organiser une régularisation dite- « massive »…

Nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État

Ceux-ci sont exclusivement des étrangers relativement stables, puisqu’il faut disposer d’un domicile fixe depuis plus de trois mois, ce qui exclu les nombreux réfugiés que la police française harcèle – à Calais, à Paris ou ailleurs – aussi bien que les jeunes à la rue que l’Aide Sociale à l’Enfance (Ase) refuse de prendre en charge, pour des raisons justifiées ou le plus souvent injustifiées…

Ce sont largement des femmes, en particulier avec enfants, notamment parce que celles-ci sont dans l’incapacité de travailler suffisamment pour percer le plafond de la CMU qui sert de cadre réglementaire au dispositif de l’AME et à la fois sont soucieuses du suivi médical de leur enfant.
En effet, on imagine difficilement à quelles régressions sont soumises, les femmes Sans-papiers, notamment par l’interdiction de moyens de paiement scripturaux : il leurs faut se déplacer pour régler en numéraire toute dette. Leurs journées sont ainsi jalonnées de tâches harassantes : conduire les enfants aux différentes écoles, ranger le studio (matelas, etc) ou trois, quatre personnes ou plus sont confinées, aller porter le linge dans une laverie automatique, faire les courses avec peu, préparer à manger chichement, etc. Dès lors, seul un complément de revenu leur est accessible…

Les soins aux bénéficiaires de l’AME étant – illégalement – refusés par de nombreux médecins de ville, ces femmes sont ainsi contraintes d’aller aux Urgences pour le moindre problème de santé de leurs enfants, alimentant ainsi la rumeur xénophobe d’un abus du système hospitalier français, l’augmentation du coût social du dispositif et contribuant à saturer ces services…

Taux de refus de soins aux bénéficiaires de la CMU et de l'AME

autre source : rapport du Défenseur des Droits au Premier ministre (avril 2014)

Les hommes au contraire, excèdent plus souvent le plafond de ressources, peuvent avoir une carte vitale ou sinon, lorsqu’ils y ont droit, manquent aux démarches nécessaires à l’obtention de l’AME par ignorance, négligence ou manque de temps, d’autant que leur surcharge de travail (souvent 70 heures par semaine, 320 jours par an) ne leurs laisse pas le loisir de se soigner… C’est, du reste, souvent nous qui les incitons à la demander afin de présenter des dossiers inattaquables…

Les 2/3 de ces bénéficiaires sont concentrés en Île-de-France avec, au début 2013, 54 596 dans Paris intra muros et 50 292 en Seine-Saint-Denis… On notera que l’embourgeoisement de Paris a bloqué l’accroissement du nombre de Sans-papiers dans cette ville, qui se maintient au même niveau depuis dix ans. Cet accroissement se répartissant sur la petite et grande couronne, avec notamment un doublement en Seine-Saint-Denis sur la même période.

Bénéficiaires AME par départements
Bénéficiaires AME selon les départements

 

 

La solitude des Sans-papiers

Si le nombre de bénéficiaires de l’AME ne permet pas d’évaluer dans l’absolu le nombre de Sans-papiers (puisqu’ils ne sont qu’une partie de l’ensemble), il permet d’en évaluer la tendance, qui en l’occurrence est en forte croissance, notamment des familles. Les Sans-papiers n’ont ainsi jamais été aussi nombreux en France ; la seule modeste avancée qu’apporte la circulaire du 28 novembre 2012 n’a pas permis d’améliorer sensiblement leur sort – ce n’était, du reste, pas son but…

La situation ne s’est donc pas améliorée pour ces étrangers, d’autant que les forces militantes qui les soutenaient, se sont délitées, notamment sous l’effet conjugué de la crise économique et du désespoir provoqué par la trahison de tous les idéaux de gauche, par le pouvoir socialiste et ne sont plus en mesure de peser sur le changement de la loi qui se prépare.

Or, on pensait que le Code des étrangers (Ceséda) était dorénavant « à l’os » des droits des étrangers après le transfert méthodique par Éric Besson, des droits restants au pouvoir discrétionnaire des préfets mais la détermination du pouvoir socialiste dans le renoncement fait ici encore des prouesses. Ils se sont avisés que la carte de résident donnait à leurs détenteurs une quasi-citoyenneté française, du fait de son renouvellement de plein droit. Sa suppression par le projet de loi du 23 juillet 2014 permettra de maintenir définitivement précaire le statut des étrangers en France (oubliant ceux qui bien qu’ayant toutes les qualités pour être Français, ne peuvent demander la naturalisation) et par là d’approcher l’achèvement du programme du fascisme ordinaire…

En outre, la Presse française, fragilisée par un aristocratisme suranné et par des connivences de notoriété publique, a fini d’être rachetée par des banques ou des « millionnaires d’État ». Elle est ainsi toute entière unie pour soutenir Manuel Valls pour l’élection de 2017. Il n’est dès lors pas question de venir affaiblir son poulain en soulevant des questions aussi mal venues que celles des droits des étrangers et alors que ces derniers constituent un merveilleux bouc-émissaire pour « expliquer » le désastre économique dont sont responsables nos élites…

 

L’embellie de l’extrême-droite

Dans le même temps, l’extrême-droite a su remettre en question ses tactiques et par l’effort conjugué de la jeunesse des identitaires et de l’argent du Front National a conquis la maîtrise d’Internet – seul contre-pouvoir que ne contrôlent pas (pour combien de temps encore ?) nos gouvernements – pour ainsi imposer son idéologie et son agenda…

Les Sans-papiers sont dorénavant largement laissés à eux-mêmes dans une France gagnée toujours plus, par le racisme et la xénophobie, car la précarité et la relégation des Français ne sont pas des vecteurs d’émancipation…

 

Le véritable objectif, fugitif, de la circulaire : diminuer les coûts

On a vu que la circulaire n’a pas permis de diminuer le stock des Sans-papiers. Cela s’explique par son ajustement à la jurisprudence antérieure, qui permet par là de comprendre sa véritable finalité : diminuer le nombre de contentieux qui coûtent aux tribunaux administratifs et de façon générale au budget de l’État. Or cet objectif constant de la France, depuis qu’elle a mis en place une politique massivement xénophobe, s’éloigne, une fois encore, parce que, contre toute attente (puisqu’une circulaire n’est, en principe, par opposable en droit) cette dernière a fini par faire jurisprudence depuis que la Cour d’Appel de Paris l’a prise pour socle d’un jugement le 4 juin 2014

C’est au fond, là comme ailleurs, la seule politique dont François Hollande soit capable : une politique de comptable.

 

Emaux (1 Août 2014)

Immigration et délinquance : le sophisme ZBM (Zemmour-Bilger-Ménard)

 

À Danielle Simonnet

On se souvient de la sortie célèbre d’Éric Zemmour sur le contrôle ciblé des « noirs et des arabes » justifié selon lui parce que cette « catégorie » de population serait plus sujette à la délinquance. De la part d’un provocateur professionnel en charge de faire de l’audience par quelque saillie, cela n’aurait suscité que le renforcement du sentiment de consternation – hélas, habituel – devant l’entreprise de crétinisation des Français par la télévision, s’il n’avait trouvé dans le magistrat Philippe Bilger un soutien inattendu d’autant plus grave qu’il s’exprimait dans la sérénité et la réflexion d’un blogue.

Avant toute chose, observons que ce genre de croyances est susceptible d’être autoréalisatrices si elles sont partagées par les forces de l’ordre, biaisant par là les données invoquées, puisque des policiers « zemmouriens » ont toutes les chances de ramener au tribunal préférentiellement des « noirs et des arabes », renforçant les convictions « objectives » de Philippe Bilger… C’est tout le problème des contrôles « au faciès » qui bien qu’anticonstitutionnels sont toujours effectifs. Le témoignage – hélas non-exceptionnel – du journaliste Mustapha Kessous est là pour rappeler qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse d’École…
En outre, comme le souligne Laurent Mucchielli dans Délinquance et immigration, la population interpellée n’est en rien représentative de la population délinquante, car, seule une très faible partie (quelques pourcents) des délits sont élucidés et même, lorsqu’il y a arrestation, c’est préférentiellement le « menu fretin » qui est écroué au détriment des « gros poissons » i.e. des donneurs d’ordre, dont rien n’indique qu’ils aient la peau basanée…

Or, pour parfaire ce duo baroque, un troisième larron, Robert Ménard, est venu reprendre le flambeau dans une émission intitulée « Est-il choquant de renvoyer des délinquants étrangers ? » en affirmant – chiffres à l’appui – que les étrangers étaient la cause d’une plus grande délinquance puisque :

« L’augmentation de délits par les étrangers était de +37% pour les vols avec violences depuis 2008, de +40% pour les cambriolages »

À supposer que l’on connaisse de quel chapeau Ménard sort ces chiffres, on ne peut rien en conclure puisqu’il faudrait les comparer a minima avec l’accroissement global des mêmes délits – ce qu’il ne fait pas ici…

Puis, il nous assène :

« Il y a 4,6% d’étrangers en France [alors que] parmi les gens qui commettent les crimes les plus graves [passibles] de 10 ans de prison, il y a 12,6% d’étrangers. Donc, il y a un problème, il y a plus d’étrangers que normalement… »

Danielle Simonnet face à Robert Ménard sur i-télé

Danielle Simonnet face à Robert Ménard sur i-télé

Tout d’abord, on notera la précision « scientifique » de ces statistiques données avec un chiffre après la virgule, s’il vous plaît ! – sans que l’on s’interrogeât sur la significativité de ces décimales (pour ne pas parler des unités !)…

La rationalité statistique est l’acquisition ultime, (lorsqu’ils y parviennent ;-), de l’ontogenèse des individus

Mais surtout, elles relèvent d’une erreur de raisonnement de niveau première année de Sciences humaines (et même Terminale scientifique). En effet, le b-a-ba de la Statistique nous enseigne que lorsqu’on partitionne une population en deux classes selon un critère arbitraire (ici Français versus Étrangers), et que l’on observe la variation d’une mesure (ici le taux de délinquance) on ne peut rigoureusement rien conclure, en particulier de nature causale, tout simplement parce que les deux populations n’ont, a priori, rien en commun. Or, une comparaison rigoureusement tenue exige de se faire « toute chose égale par ailleurs ». Ici, rien « d’égal » : ni le capital culturel, ni le capital matériel, notamment…

Il faut donc, au préalable, « neutraliser » tous les autres paramètres avant de pouvoir comparer quoique ce soit… C’est l’objet de méthodologies créatives et sophistiquées qui construisent une authentique sociologie scientifique, à mille lieux de ces discours de « sens commun »1

Au demeurant, ces « raisonnements » ne prêteraient pas à conséquence s’ils restaient confinés dans le cadre qui leurs sied : le Café du Commerce. Or ces trois personnes ont cru bon d’abuser de leurs magistères pour les étaler en place publique, ce qui est non seulement irresponsable, mais même répréhensible…

La réussite scolaire, autre théâtre de la sophistique xénophobe

Cette problématique est rigoureusement homologue à celle de la réussite scolaire des enfants d’immigrés où, là aussi, les « raisonnements » frelatés vont bon train… Ainsi naguère Claude Guéant prit les mêmes libertés et osait affirmer que « (…)les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés. » en hallucinant des données statistiques issues d’un rapport du Haut Conseil à l’Intégration qui concluait au contraire – précisément en neutralisant les autres déterminants – à une réussite équivalente, voire supérieure, des enfants de l’immigration… De même l’étude approfondie de Yaël Brinbaum & Annick Kieffer confirme une meilleure réussite (toute chose égale par ailleurs), en particulier des filles de parents maghrébins.

Myriam Bourhail, franco-marocaine et meilleur bachelier de France avec 21,03 de moyenne
Myriam Bourhail, franco-marocaine et meilleur bachelier de France avec 21,03 de moyenne

La pente du fantasme d’élimination

Or, si l’on s’en tenait aux résultats scolaires, une politique comptable des deniers publics devrait mettre en œuvre l’expulsion des Français eux-mêmes, puisque pour un investissement public donné, les enfants – en particulier les filles – d’immigrés procurent un retour sur investissement supérieur ! On voit ainsi à quelle absurdité la « logique » de l’expulsion conduit…

Or, dans nulle autre situation que face à la délinquance, la possibilité légalement offerte par le code pénal et le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceséda) d’expulser des individus, libère des fantasmes d’élimination et corrompt les facultés intellectuelles…

La double-peine en embuscade

De surcroît, cette logique qui transpire des propos de notre trio de choc et explicitement du dernier acolyte, pose le problème de la « double-peine ». Or par un bluff jamais dénoncé par nos médias (si prompt pourtant à mettre en avant la certification qu’ils apporteraient à l’Information) la droite a pu prétendre jusqu’à présent que Nicolas Sarkozy avait supprimé la « double-peine », dans le but achevé de déstabiliser le PS – qui, en l’occurrence pouvait aisément l’être…

En réalité, la double-peine figure toujours dans le Code pénal comme dans le Ceséda (Art. L.541-1 renvoyant à l’Art.131-30 du Code pénal) :

« Lorsqu’elle est prévue par la loi, la peine d’interdiction du territoire français (ITF) peut être prononcée à titre définitif ou pour une durée de 10 ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable d’un crime ou d’un délit »

(pour une analyse plus approfondie : CPDH).

Elle apparait aussi, amoindrie, au détour de l’Art. L.313-5 du Ceséda :

« La carte de séjour temporaire peut-être retirée à l’étranger passible de poursuites pénales (…) »

Les peines collectives : symptôme d’une épidémie de dégénérescence neuronale ?

Au risque d’être accusé de droit-de-l’hommisme caractérisé (un des « crimes » les plus graves, de nos jours ;-), il faut rappeler ici combien ces interdictions de séjour introduisent une rupture d’égalité devant la loi, puisque pour un même délit un Français n’en sera évidemment pas passible (encore qu’au train où vont les choses, le rétablissement de l’égalité de traitement pourrait se faire dans un sens non nécessairement heureux : Cayenne est encore dans les mémoires !)

En outre, elles pénalisent bien au-delà de la personne jugée : la personne qui partage sa vie, ses enfants éventuels, etc, qui vont être ainsi privés durablement voire définitivement de l’affection et de l’autorité parentale de la personne bannie, bien plus que s’il s’agissait d’un emprisonnement à proximité de la famille… Elles instaurent des peines collectives de fait, qui, bien qu’en rupture avec le principe d’individualisation des peines, ne semblent plus choquer la classe médiatico-politique.

On garde en mémoire le précédant de ce chef-d’œuvre de tératologie juridique qu’est la loi Hadopi, dont la peine de coupure d’accès, prive d’Internet l’ensemble des personnes d’un foyer et c’est même jusqu’à l’affaire Leonarda où l’intelligentsia française s’est satisfaite du discrédit du père (savamment exploité) pour justifier l’expulsion de toute la famille Dibrani…

C’est cette perte de sensibilité aux principes juridiques démocratiques qui est aujourd’hui la plus inquiétante…

…d’autant qu’elle peut s’accompagner d’une perte de sensibilité au droit lui-même :

À chaque fois q'un ministre est conspué  en – l'occurrence Taubira encore comparée à une guenon –, on ne va pas en faire un gros titre…
Philippe Bilger face au racisme dont est victime la Garde des sceaux

https://twitter.com/BilgerPhilippe/status/394153999378960384

@Emaux (8 décembre 2013)

____
1. On ne saurait mieux conseiller à nos élites politiques et médiatiques que de (re?)lire, crayon en main un classique toujours d’actualité : « La formation de l’esprit scientifique » de Gaston Bachelard (Vrin 1938)

#Leonarda François Hollande : l’incohérence des éléments de langage et des décisions

 

L’affaire Leonarda met François Hollande face à ses renoncements et ses contradictions. Elle contraint bien des élus du Parti Socialiste à des contorsions et ses affidés à des absences…

La substantification du Droit

Nos gouvernements qui n’aiment pas la Justice au point de la sous-doter systématiquement, en appellent au droit en en méconnaissant la philosophie. Le droit n’est pas un couperet, le pouvoir d’appréciation des juges en est au fondement. A fortiori, lorsque par haine des juges, on transfère les pouvoirs de ces derniers au pouvoir discrétionnaire des préfets comme le rappelle et l’entérine la circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls, (page 2) à l’adresse des préfets :

Elle est destinée à vous éclairer dans l’application de la loi et dans l’exercice du pouvoir d’appréciation qui vous est reconnu par la législation.  [c’est moi qui souligne]

C’est, au reste, d’une autre façon, la philosophie que rappelle le président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, dans ce tweet :
https://twitter.com/claudebartolone/statuses/390393995417104384

Claude Bartolone tweet

ou Bruno Le Roux (Président du groupe PS de l’A.N.) sur iTélé (16/10/2013) : « …il y a dans ces procédures d’expulsion une faculté de discernement qui est offerte au préfet et donc je me pose la question de savoir s’il y avait là dans ce cas précis une nécessité, à moins qu’on me dise : il y avait un trouble à l’ordre public qui avait été manifesté… »

Un droit d’exception dans la République

Quel est donc ce droit intangible auquel se réfèrent François Hollande et Manuel Valls alors qu’il n’a cessé d’être remanié (y compris par Valls, lui-même !), parfois amendé plusieurs fois dans la même année et contre le vote de ces mêmes élus socialistes qui l’invoquent aujourd’hui ?

En l’occurrence, un code d’exception destiné avant tout à restreindre les droits des étrangers par colmatages successifs, depuis vingt ans, notamment par les lois Sarkozy, Hortefeux, Besson, en sorte d’empêcher les régularisations et au point de trahir les principes républicains comme le droit à une vie maritale ou le droit du sol, abrogé pour ôter le droit à la régularisation des familles d’enfants nés en France.

L’asile, alpha et omega de la politique d’accueil française

Un autre argument tristement repris sans critique par les médias pour justifier l’expulsion de la famille est : « tous les recours ont été épuisés » au motif que la demande d’asile ait été rejetée. Mais l’asile – extrêmement difficile à obtenir même dans des cas fortement justifiés – ne représente qu’une toute petite minorité des motifs de délivrance de carte de séjour, bien après d’autres comme les raisons familiales, de travail ou d’étude, qui auraient pu être invoquées pour régulariser cette famille…

L’intox de la Place Beauvau

Le ministère de l’intérieur dans une opération de contre-feux médiatique savamment orchestrée et relayée, a habilement distillé des informations (via le rapport de l’IGA ) discréditant le père de Leonarda (et même RESF, auquel j’ai déjà répondu). Au-delà du problème du respect de la vie privée (auquel, il est vrai, la Place Beauvau n’a pas coutume de faire grand cas) il a entrainé la gente médiatique dans une régression intellectuelle que l’on pourrait résumer par, en paraphrasant la fable, : « si c’est toi, c’est donc ta famille » pour justifier qu’on expulsât la totalité de la famille (sans parler de la double-peine, sur laquelle, je reviendrai ultérieurement)…

Or, le rapport glisse habilement sur le régime juridique de l’intervention de la police, puisqu’en l’occurrence celle-ci n’avait pas le droit d’interpeller un mineur*. Rien n’indique que les droits de Leonarda puissent avoir été respectés… Il faudrait se satisfaire de la fiction juridique qu’elle aurait rejoint librement sa famille, grâce à l’obligeance de la police aux frontières (Paf) tout en étant prévenue qu’elle allait être expulsée de France et alors que son bus était reparti !… Fiction mise à mal par le même rapport lorsqu’il mentionne que, s’adressant à l’enseignante du bus :

Le capitaine lui a demandé fermement d’arrêter le bus et de s’assurer que la jeune fille « ne se sauve pas avant l’arrivée de la patrouille » [c’est moi qui souligne]

Cette fiction est fissurée par la déclaration du président Hollande, puisqu’il reconnait formellement une « infraction » dans « l’interpellation » :

Mais l’enquête indique, aussi, que l’interpellation de la collégienne s’est déroulée à l’occasion d’une sortie scolaire. Même si la prise en charge de la collégienne a eu lieu à l’abri des regards, c’est une infraction par rapport à ce que l’on peut penser être la possibilité d’interpeller une enfant. [c’est moi qui souligne]

Le jeu de dupes du président

Quant à la proposition faite par le président à Leonarda et à elle-seule, elle est incohérente et illégale.
Elle bafoue, comme tout le monde en convient l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Elle est incohérente, parce qu’elle est faite à Leonarda et non à ses sœurs, uniquement parce que son arrestation a eu lieu en situation scolaire et que la jeune fille a été (non sans risques pour elle) médiatisée.
C’est un jeu de dupes parce que le président sait parfaitement qu’elle ne l’acceptera pas…

La souveraineté bafouée du Kosovo

Une question de droit international qui ne semble pas affleurer à la conscience médiatique – centrée sur des affres franco-françaises – est de savoir comment le Kosovo a-t-il pu délivrer les laissez-passer consulaires à une famille qui, à l’exception peut-être du père, n’a pas la nationalité Kosovare et semble dépourvu de papiers d’identités ? Le préfet a-t-il obtenu du ministère des laissez-passer européens (LPE) au statut scabreux ou a-t-il exercé un coup de force sur les autorités de ce petit État ?

[Correctif 22/10/13]  Il semble que le père et la mère aient bien la nationalité kosovare. Bien que les enfants soient nés en Italie ou en France pour la dernière, l’Italie comme la France ne reconnaissant pas le droit du sol, ils sont a priori aussi de nationalité kosovare. Reste qu’ils ne parlent pas le serbo-croate et qu’une enquête européenne peu coûteuse auraient, sans doute, permis de retrouver les titres de séjour italiens des parents permettant une « réadmission Schengen » vers l’Italie, moins traumatisante pour les enfants qui parlent italiens…

On observera que le rapport d’inspection de l’opération d’éloignement de la famille Dibrani rédigé par le Ministère de l’Intérieur, n’examine même pas ces questions, tant la nationalité réelle et les conditions d’accueil des étrangers qu’il expulse sont le cadet de ses soucis…

Or, une dépêche AFP nous apprend que la famille de Leonarda a été agressée au Kosovo et que sa mère est à l’hôpital, ce qui confirme, malheureusement trop tard, ce que l’on savait de la situation des Roms dans les pays de l’est de l’Europe et notamment les Balkans… suite à un règlement de compte familial [Maj. 22/10/13]

Sans insister plus, on rappellera ici la classification absurde établie de façon aberrante par l’Intérieur, des Pays d’Origine Sûrs (POS), où le Kosovo figurait depuis 2011, mais a été retiré depuis sans qu’on en ai tenu compte ici…

Et sur le fond : la France peut-elle se permettre (et prendre le risque…) d’expulser ceux qu’elle ne veut pas sur son sol vers des pays dont ils ne sont pas originaires ou tout au moins « bienvenus » ?

Un « Centre de rétention à ciel ouvert »  ?

Quoi qu’il en soit, pour le Kosovo, c’est une curieuse conception de l’entraide européenne que de prendre un État en reconstruction – en proie à des difficultés d’ordre public considérables du fait des affrontements communautaires – comme « Centre de rétention à ciel ouvert »…


Emaux
(21 octobre 2013)

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(*) Art. L.511-4 : « Ne peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français : 1° L’étranger mineur de dix-huit ans ; 2°(…) » (Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile)

Art. L. 521-4 : « L’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une mesure d’expulsion. » (Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile)

#Leonarda RESF en cause : mise au point

 

L’édition du Figaro du 17/10/2013 titrait : « Leonarda : RESF et l’enseignante avaient donné leur accord à l’expulsion » et dans le corps de l’article :

« Selon un telex interne de la police aux frontières (PAF), dont Le Figaro a eu connaissance et qui fut rédigé bien avant que la polémique sur l’affaire Léonarda n’éclate – mais avant l’expulsion de la jeune Kosovare – les fonctionnaires de la PAF du Doubs ont récupéré la jeune fille en accord avec l’enseignante encadrant la sortie scolaire du 9 octobre mais aussi en parfait accord avec le représentant du Réseau éducation sans frontières (RESF) présent sur place, en bas du car, devant le collège Lucie Aubrac de Doubs. » [c’est moi qui souligne]

N’étant pas sur place et ne connaissant pas les personnes mentionnées, je ne dirais rien de l’implication de l’enseignante.

En revanche, participant à RESF depuis 2006 (sur Paris), je suis en mesure d’apporter un éclairage nettement différent à ce « scoop » qui trahit une méconnaissance profonde des nouvelles formes d’activisme qu’a rendu possible Internet.

RESF est un réseau de collectifs autonomes qui s’entraident et se coordonnent grâce à Internet

Formellement RESF est sans personnalité juridique, donc sans « responsable » ; sans structure, donc sans « représentant ».
Il n’y a pas de « ligne politique » définie ce qui permet de fédérer tout le spectre de la gauche et même au delà…

Cette légèreté de fonctionnement permet la synergie de mobilisations de nature, d’intensité et de durée fort différentes selon les disponibilités et les affinités des uns et des autres.

Elle a été une force lorsque, par exemple l’inénarrable Frédéric Lefebvre voulait « faire interdire RESF », après que le réseau a été mis en cause lors de l’incendie du Cra de Vincennes : interdire des citoyens, ce n’est pas facile dans un État de droit ;-)

En revanche, l’absence de structure rend problématique, l’engagement du réseau tout entier, c’est-à-dire du nom RESF, lors de toute signature de texte ou d’action. C’est pourquoi, l’engagement est presque toujours celui d’un collectif d’RESF local.

Les membres sont seulement unis, en particulier lors de luttes autour de famille ou d’individu précis, dans la réalisation de deux missions : empêcher les expulsions d’étrangers Sans-papiers, par tout moyen non-violent et obtenir leur régularisation, notamment en sollicitant tout moyen juridique.

Or, dans l’affaire Leonarda, Gérard Guinot (membre du PS) qui se réclame d’RESF et (selon la Police) qui aurait facilité l’expulsion (sic) de la jeune fille, semble avoir agi seul.

Il résulte de tout ce que je viens de rappeler que son action n’engage que lui seul !

Finalement, il est surprenant qu’il ait fallu attendre près de 10 ans pour que quelqu’un, se revendiquant d’RESF, ait agi à rebours de tout ce pour quoi se mobilisent les membres du réseau !…


Emaux
(18 octobre 2013)

#Leonarda Verbatim de l’entretien d’Alain Finkielkraut sur Europe1 16/10/13 (1e)

 

Il s’agit d’un dialogue radiophonique, sur Europe1, le 16 octobre 2013 (19h12). Alain Finkielkraut maîtrise suffisamment sa parole pour qu’on puisse la prendre pour fidèle à sa pensée…

1ère partie sur la politique migratoire en réaction à l’expulsion de la famille de Leonarda

Nicolas Poincaré : – Tout d’abord un mot sur l’actualité du jour qui est l’affaire Leonarda du nom de cette collégienne que l’on est venu chercher dans un bus scolaire et qui a provoqué les protestations d’une grande partie de la gauche. Est-ce que vous aussi vous êtes troublé par cette histoire ?

Alain Finkielkraut : – Je suis troublé par la promotion de cette histoire au rang de grand scandale national. Je suis même effaré.
Une famille Kosovare de six enfants est expulsée au Kosovo, dont je rappelle que ce pays a obtenu l’indépendance et que, à cette indépendance, la France a contribué puisque l’Otan a frappé la Serbie, précisément pour arrêter l’exil des Kosovars. Ce pays est indépendant, ils ne peuvent donc pas se prévaloir, du droit d’asile : ils rentrent chez eux et on a l’impression que ces considérations politiques ou géopolitiques ont complètement disparues, que la morale de conviction l’emporte sur la morale de responsabilité. La morale de conviction, ce sont des gens qui veulent s’extasier de leur propre générosité sans se soucier des conséquences.

Cette jeune fille, Leonarda a été cueillie, si je puis dire, à la sortie d’un car scolaire puisqu’elle n’était pas avec sa famille dans le centre d’accueil et que l’expulsion était prévue pour le 9 octobre.
Le Monde en fait son titre. Pourquoi ?
Pour mettre Manuel Valls en difficulté. Or la gauche aujourd’hui ne tient que parce qu’elle a Manuel Valls et on a l’impression que des gens de gauche veulent, en quelque sorte, sa peau, s’alignant ainsi sur les positions d’Eva Joly – qui, je le rappelle a fait 3% aux élections présidentielles – donc c’est une attitude absolument folle et suicidaire de la part de la gauche. C’est une attitude totalement irresponsable.
Nous ne pouvons pas à la fois militer pour l’indépendance du Kosovo et [à la fois ] pour le droit des Kosovars a bénéficier du droit d’asile dans la situation très difficile que vit la France aujourd’hui.

Où veut-on aller ? C’est-à-dire que si cette gauche-là l’emporte, elle [la France] est ruinée définitivement et je ne voudrais pas avoir à choisir demain entre le Front National et le sans-frontiérisme délirant d’Eva Joly ou de la frange la plus libérale du Médef, qui sur ce point-là se rejoigne.

Si le peuple est soumis à ce choix, il ira vers Marine Le Pen et on n’aura pas le droit de lui reprocher.

Nicolas Poincaré : – Sauf que vous oubliez l’argument de l’école. Vous avez été longtemps enseignant, il y a une pratique en France qu’on aille pas chercher les enfants à l’école…

Alain Finkielkraut : – Elle n’a pas été cherchée à l’école : c’était un autobus et on a attendu que le bus s’arrête.

Nicolas Poincaré : – Vincent Peillon dit : Le bus scolaire, c’est la scolarité…

Alain Finkielkraut : – Oui, mais qu’est-ce qu’on veut ? Qu’elle reste scolarisée et que le reste de sa famille s’en aille et donc qu’elle soit une orpheline dans l’école pour que les gens qui sont avec elle à l’école se disent : « Mais qu’est-ce qu’on est gentil ! » ?
Mais on s’en fout de savoir s’ils sont gentils ; on se demande simplement dans quel monde voulons-nous vivre ? Un monde habitable pour tous les hommes : est-ce un monde où l’Europe est là pour accueillir ceux-là même qui sont censés chez eux, faire prévaloir l’État de droit, construire une société décente. Nous voulons aussi de cette diversité humaine, parce que si nous ne le voulons pas, si nous abolissons les frontières, c’est notre société elle-même qui deviendra forcément un jour ou l’autre, complètement inhumaine.

Alexandre Kara : – Est-ce que la forme, les symboles, c’est pas important pour la démocratie ? Je m’explique : aller chercher quand même une jeune fille comme ça dans ce qui est le prolongement de la vie scolaire, ça peut choquer, ça rappelle des choses de la mémoire collective, vous le savez très bien, c’est pas non plus un hasard. Vous ne pouvez pas dire, c’est juste des droits-de-l’hommiste, des sans-frontièristes qui ne voient que ça, c’est pas vrai !

Alain Finkielkraut : – D’accord ! Invoquons le mémoire. Je ne dis pas qu’il fallait faire les choses ainsi. Je dis que l’expulsion avait été décidée pour le 9 octobre et qu’il était difficile de faire partir le reste de la famille et non cette jeune fille. Donc, il y avait une vraie difficulté.

Mais alors, la mémoire… Peut-être qu’on va avoir droit aux reproches de Vivianne Redding qui parlait de « déportation » pour les Roms : les Roms qui rentraient chez eux avec 300€ !

Alors moi je vais parler de la mémoire au sens individuel – je ne m’en prévaux jamais, mais quand même !
Mes grands parents ont été déportés de France et ne sont pas revenus. Mon père a été déporté à Auschwitz, de France, il est revenu. Mais il est absolument scandaleux de brandir la mémoire pour des gens qui sont renvoyés chez eux, c’est-à-dire dans un pays libre et que nous avons contribué à libérer. La mémoire n’a rien à faire avec ce qui se passe aujourd’hui en France ; il est même – à cause d’un manque de tact, tout à fait réel – il est sacrilège de l’invoquer.

Alexandre Kara? : – Donc on peut arrêter les enfants dans les écoles où dans le prolongement scolaire, sans avoir de problèmes… Vous n’avez pas de problème avec ça ?

Alain Finkielkraut : – Non, non il ne s’agit pas d’une arrestation, il s’agit de lui permettre de rejoindre le reste de sa famille. Elle n’a pas été arrêtée : elle est amenée à rentrer chez elle avec sa famille.
Qu’on le fasse ailleurs qu’à la sortie d’un bus scolaire ? Oui, c’est absolument préférable, mais de là à monter cette histoire en épingle pour fragiliser encore la position de Manuel Valls qui essaye malgré tout de maintenir – dans cette nef des fous qu’est en train de devenir une partie de la gauche – la morale de la responsabilité, je trouve ça, je le répète, complètement délirant.
Qu’on arrête de parler de lepénisation des esprits, car c’est se comporter évidemment en agent électoral du Front National et de la manière la plus nette.

Olivier Duhamel : – Tout ce vous dites est en tant que politologue – ce que vous n’êtes pas, mais pourquoi pas !
Sur le fait qu’il y a des gens qui profite de tout ça pour s’en prendre à Manuel Valls, vous avez absolument raison. Mais puisque vous faites le politologue, permettez-moi de faire le philosophe, du coup !

L’éthique de la conviction que vous décriez au profit de l’éthique de la responsabilité ; je vous signale que, et Max Weber, et tous ceux qui ont suivi sa pensée là-dessus disent que la vraie difficulté est de marier les deux, de ne pas sacrifier l’une à l’autre, car l’éthique de la responsabilité ça conduit à la Realpolitik la plus cruelle et l’éthique de la conviction, à l’utopie la plus inutile.

Ce que je ne comprends pas dans le départ de votre sidération, de votre offuscation, du scandale de ce que pour vous on se mobilise pour cette jeune fille du Kosovo, c’est que vous dites qu’il s’agit d’un État indépendant. So what !
On a le droit, nous Français, d’émigrer dans d’autres pays. Des multiples personnes, venant d’États indépendant peuvent venir demander à vivre ensemble. Ce n’est pas parce que le Kosovo est devenu indépendant que ce serait un scandale qu’une famille kosovare souhaite venir ensemble…

Alain Finkielkraut : – D’abord, la morale de responsabilité est invoquée par Max Weber contre la morale de conviction pour les politiques ; je ne fais pas le politologue, je fais le lecteur. Il dit c’est une morale qui se soucie des conséquences et moi je pense toujours à cette phrase de Raymond Aron, jeune, qui fait une brillante conférence devant un attaché des affaires étrangères, dans les années 30 ; elle est absolument magnifique et l’attaché lui dit : « C’est bien, mais qu’auriez-vous fait à la place du ministre ? ». Et moi, lorsque j’essaye de réfléchir, je me pose toujours cette question – dans la mesure où nous vivons dans un État de droit. Si nous étions dans un État totalitaire, je ne me dirais pas : qu’aurais-je fait à la place du ministre ? Eh bien ! Je pense qu’à la place du ministre, je ferais très attention évidemment à maîtriser, contrôler et réduire l’immigration en France, aujourd’hui.

Olivier Duhamel : – En quoi est-ce qu’un Kosovar n’a pas le droit d’émigrer ?

Alain Finkielkraut : – Je pense aussi en effet qu’on ne peut pas réclamer systématiquement – parce que la politique c’est une responsabilité générale, c’est une responsabilité collective – le beurre et l’argent du beurre.
Les Algériens n’ont pas conquis leur indépendance pour réclamer des visas pour la France. S’ils le font, c’est parce que leur État est ruiné, c’est pas à cause du colonialisme. Il s’agissait pour les Algériens de bâtir une Algérie solide. Si on dit aux meilleurs, aux jeunes étudiants : « Venez profiter d’une vie beaucoup plus facile et des droits que nous avons conquis en France, ces pays-là ne démarrerons jamais et notre Europe s’effondrera. Donc ce n’est pas du tout comme cela qu’il faut procéder. Ce n’est ni souhaitable pour eux, ni souhaitable aujourd’hui, dans l’état actuel des choses, pour nous et il est légitime que la gauche le dise. Ce n’est pas un discours de droite ou d’extrême-droite. Renvoyer ce discours à l’extrême-droite, ça fait partie de la nouvelle logique de la nef des fous.

Olivier Duhamel : – Mais là logique de ce que vous dites, c’est que du coup un Algérien n’a pas le droit de venir en France ? Un Kosovar n’a pas le droit de venir en France ?

Alain Finkielkraut : – La France n’est pas un droit de l’homme, c’est tout !! La France n’est pas un droit de l’homme.
L’indépendance de l’Algérie n’était pas faite pour réaliser l’intégration franco-algérienne. De Gaulle a choisi la voie de l’auto-détermination précisément pour séparer. La séparation des peuples, c’est pas de dresser des murs, c’est de permettre à la diversité du monde de se déployer et aux nations d’avoir un sens. On ne va pas non-plus transformer les nations en salle des pas perdus parce que c’est vrai que dans les aéroports, tout le monde est à égalité, peu importe le lieu d’où l’on vient, l’identité que l’on perpétue sauf que précisément les nations ne sont pas des aéroports et je crois qu’elles ne sont pas vouées à le devenir.

Emaux (17 octobre 2013)

Immigration : la paranoïa est mauvaise conseillère

L’approche de l’immigration en Europe et singulièrement en France se fait depuis des décennies sur un mode paranoïaque. Cette attitude occulte la réalité et interdit une politique rationnelle.

L’aveuglement statistique

Elle nous empêche tout d’abord d’avoir des chiffres chaque année en particulier du solde migratoire qui ne sont connus avec précision que rétrospectivement… En leurs absences, on ne peut qu’estimer l’ampleur des « flux migratoires irréguliers » en extrapolant à partir des derniers chiffres plus ou moins fiables1. C’est ainsi une des conséquences paradoxales des politiques prohibitionnistes qu’elles nous interdisent tout contrôle en oblitérant toute connaissance statistique en temps réels – en plus de faire le bonheur de la pègre, de 15 à 30 000€ le passage depuis l’Asie (à ce tarif-là, il est vrai qu’il n’y a pas de risque que « la misère du Monde » frappe à notre porte !).

Or cette incertitude alimente les discours populistes, en particulier depuis 10 ans… Pourtant, toutes les études analytiques convergent pour dire que depuis plusieurs décennies, la France n’est que faiblement une terre d’immigration, tout simplement parce que les migrants ne vivent pas « en apesanteur » : ils ne restent en France que s’ils y trouvent du travail – seul véritable levier de contrôle migratoire2. D’ailleurs, lors de la dernière « régularisation massive » – avortée – celle de Sarkozy en 2006, seul un nombre très faible de dossiers, 30 000 avaient été déposés…

Les artefacts du discours politicien

Si l’on analyse les 30 000 expulsions hors de l’hexagone, dont nos ministres de l’intérieur successifs sont si fiers, on découvre alors qu’elles sont loin d’être réelles et ces nombres, des artefacts du fait de la « politique du chiffre ».
Ainsi, par exemple, une approche qualitative de l’année de 20113, permet-elle d’observer que parmi les 33 000 expulsés de la Métropole, le premier contingent national (5474 retenus) est celui des Tunisiens qui, pour la grande majorité, sont passés par l’Île de Lampedusa et qui disposaient ainsi d’un titre de séjour italien. Ils n’ont donc pas été expulsé vers la Tunisie – qui, en pleine transition post-révolution, a mieux à faire que de délivrer les laissez-passers consulaires nécessaires pour ré-accepter des chômeurs – mais vers l’Italie (« réadmission Schengen ») d’où ils sont revenus en France pour la plupart…

Mode d'éloignement des Roumains et des Bulgares

De même, environ 9000 dont 1451 Bulgares et 7 444 Roumains, ont empochés les 300€ « d’aide au retour humanitaire », qui leur ont payés leur ticket d’aller-retour : n’ayant aucun avenir en Bulgarie, (respectivement Roumanie), ils sont de nouveau sur le territoire français – ce que reconnaît implicitement le nouveau ministre de l’intérieur qui, pour cette raison, a supprimé cette aide.

Ce n’est donc pas 33 000 qui ont vraiment été expulsés par Sarkozy mais beaucoup moins ce que le gouvernement reconnait puisque seuls moins de 15 996 Arrêtés Préfectoraux de Reconduite à la Frontière et Obligations à Quitter le Territoire Français ont été exécutés – chiffre dont il faut ôter les Tunisiens et Roms évoqués ci-dessus qui ont fait dans l’année l’aller-retour par leurs propres moyens et ceux qui ont payé un passeur pour revenir subvenir aux besoins de leur famille. Le véritable nombre se chiffre donc probablement seulement en milliers…

Ainsi, aussi inhumaine et coûteuse que soit la politique d’expulsion des étrangers « en situation irrégulière », l’immense majorité de ces derniers restent in fine sur le territoire national et, par conséquent, cette tactique est massivement inefficace – ce que seuls, les militants qui défendent leurs droits sont en mesure d’observer.

De la même façon, quand Manuel Valls affiche sur tous les médias qu’il s’en tiendra comme ses prédécesseurs à régulariser 30 000 « Sans-papiers », il s’agit-là d’un chiffre magique, car l’analyse des données de son propre ministère ne lui permet pas de construire un tel agrégat ! En effet, la complexité des accidents de la vie des étrangers qui les conduisent à se trouver « sans-papiers » ne cadre pas avec la structure du logiciel AGDREF4 de l’Intranet du ministère de l’Intérieur, qui gère l’établissement des titres de séjour (ce n’est tout simplement pas sa fonction).

Ainsi, on peut devenir Sans-papiers après être entré en France avec un visa tourisme (3 mois) ou un visa longue durée (6 mois ou plus) et être resté sur le territoire national : l’absence de visa ne peut donc être pris comme critère… De même, un étranger peut avoir eu un temps une carte de séjour pour un motif donné : travail, maladie, mariage, etc. et l’avoir perdue par rupture ou modification de contrat de travail, changement de situation médicale, divorce, etc. ; le motif d’admission n’est pas plus un critère (pour une discussion plus approfondie)…

En réalité, Valls ne dispose d’aucun outil, lui permettant d’instaurer un tel quota (heureusement : la France perdrait de ce fait le statut d’État de droit !) ; il ne s’agit que d’un « coup de menton » politicien lui permettant de signifier qu’il appliquera la même politique que Sarkozy.

La rhétorique complaisante de la régularisation « massive »

Le seul véritable effet des politiques restrictives, est de faire enfler le « stock » des Sans-papiers, ce qui conduit tous les 10-15 ans à ce qu’on qualifie, dans la rhétorique politicienne, de régularisations « massives » (dans les faits, au maximum quelques centaines de milliers). Ainsi, cette accumulation peut-elle être constatée à travers la statistique des bénéficiaires de l’Aide Médicale d’État (qui correspondent aux conditions de la CMU) et qui n’est attribuable qu’à des Sans-papiers mais qui n’est donnée qu’à une partie de ces derniers :

Augmentation des bénéficiaires de l'Aide Médicale d'État
Augmentation des bénéficiaires de l’Aide Médicale d’État depuis 2008

Cette gestion en coup d’accordéon a des effets dommageables pour l’intégration des migrants. D’abord, elle alimente la xénophobie puisque quel que soit le moment où l’on est sur la ligne en dent de scie, l’immigration, « c’est mal » : mal lors du retour de la répression « nécessaire », après la période « d’abus » ; mal lors de la régularisation « massive » contrainte et honteuse, car « laxiste » – avec toute la connotation sexuelle de débandade qui excite la droite dure

Ensuite, elle désorganise tous les services sociaux susceptibles d’aider à l’intégration qui se trouve périodiquement submergés par le nombre de dossiers à traiter : logements sociaux, écoles, mairie, préfecture même…

C’est notamment pour ces raisons, qu’il serait indispensable d’arriver à une approche apaisée de l’immigration en France, mais pour cela il faudrait une élite politique intelligente et courageuse et c’est là l’utopie la plus folle dont on puisse rêver…

La gabegie de la xénophobie d’État

Or cette obsession nous coûte officiellement plus d’un milliard d’euros : 600M€ (selon l’évaluation du Sénat) pour les expulsions auxquels il faut ajouter les 600M€ de l’Aide Médicale d’État qu’on alloue à des gens à qui l’on interdit de cotiser alors qu’ils travaillent et ne demandent que ça !…

Si ces évaluations tiennent compte des é-migrants que l’on arrête au moment où ils s’apprêtent à quitter le territoire un ticket de voyage en poche, afin de leur faire faire un séjour en « Centre de rétention administrative » (dans la novlangue) et d’alimenter ainsi les statistiques d’expulsions (« faire des bâtons » dans l’argot policier), elles ne comptent pas :

1. Les Sans-papiers que l’on convoque tous les trois mois, six, sept, huit fois afin de faire baisser le chiffre des régularisations, ce qui leur fait perdre à chaque fois une demi-journée – et à leurs accompagnants ;-) – mais qui fait perdre aussi aux agents de la préfecture, au bas mot une heure de travail… (La Gauche, il est vrai, semble initier une nouvelle méthode dilatoire moins coûteuse : ne plus donner de rendez-vous avant six mois, voire un an mais, dans les situations de renouvellement de titre de séjour, les rendez-vous peuvent alors avoir lieu fort proche de la date de péremption de la nouvelle carte – rendant l’opération économiquement nulle !)

2. La saturation de l’appareil judiciaire : tribunaux administratifs, notamment qui coûte à la collectivité, à tous les sens du terme …

3. La perte économique des employeurs, privés de leurs salariés sans oublier les entreprises obligées d’aller en justice afin de pouvoir recruter ceux que la politique de préférence nationale – imposée par tous les préfets de France – leur interdit de faire travailler (jurisprudence dite de la Tour d’Argent)

4. La construction de camps de concentration5 (une vingtaine sous le règne de Sarkozy, les portant à 28) que par cynisme, la France impute au budget de l’aide au développement !

Le Centre de Rétention Administrative de Cornebarrieu

Le mythe de « l’appel d’air »

Toute la « gestion des flux migratoires » conduite depuis les ministères de l’intérieur successifs – faut-il rappeler cette anomalie ? – repose sur le postulat que tout ce qui ne contrecarre pas l’intégration des étrangers favorise leur arrivée.

C’est ici que le caractère délirant de cette politique est le plus net. Il faut méconnaître singulièrement les migrants pour s’imaginer que leur périple soit commandé par un « avantage comparatif » précis, refusé ou non par la France et qu’ils arbitrent librement entre plusieurs destinations, tel un client au bureau d’un voyagiste. Il suffit d’observer que l’immigration en France est l’exact écho des colonisations passées pour remettre en question cette vision. En réalité, leur départ est toujours mus par la fuite : du chômage, de la misère, de l’ostracisme, de la guerre, par la crainte de la torture, du viol, d’un avortement forcé à sept mois de grossesse, du traumatisme de l’excision, etc. L’image qu’ils ont de l’Europe est nécessairement vague. C’est donc uniquement la différence de potentiel négatif qui pousse leurs pas vers nous.

Aussi entendre un représentant ministériel ou préfectoral soutenir que la nature d’un titre de séjour détermine les flux migratoires en créant ou non un « appel d’air », témoigne de l’égocentrisme de nos « responsables ».

Il n’est que de constater que, bien que la politique migratoire de la France ait été incontestablement durcie de 2002 à 2011 par les lois Sarkozy, Hortefeux, Besson et consort, les entrées sur le territoire (européennes et non-européennes) ont augmentées et…

…corrélativement le nombre de premier titre de séjour a lui-même augmenté, pour démontrer6 l’inanité du concept médiatique « d’appel d’air ».

On notera en revanche l’effet de la crise économique avec la réduction régulière depuis 2008 de titres délivrés à ce motif7, l’effet conjoncturel de l’imbécile circulaire Guéant sur les titres étudiants en 2012 et de la campagne électorale où les méthodes dilatoires évoquées plus haut ont fonctionné à plein régime en 2011 et 2012…

Inculquer l’amertume d’avoir fait sa vie en France

Les Français ne mesurent pas les conséquences pour celui qui reste 12 ans, 15 ans, parfois 20 ans et plus, sans droit. Lorsqu’enfin il accède à un statut, après des années de peur, de brimades, d’humiliations, de sacrifices, a-t-il encore le sentiment de devoir quelque chose au pays « d’accueil » ?
C’est pourquoi cette politique nous est nuisible : elle altère le sentiment de gratitude d’avoir bénéficié de l’hospitalité de la France qui soutient une intégration réussie. Elle freine l’intégration au lieu de tenter de l’améliorer. C’est aussi le sens du rapport de Thiérry Tuot au premier ministre et si cet ostracisme infligé aux étrangers reste enfoui à la première génération, il peut resurgir à la deuxième et surtout à la troisième génération avec des conséquences dramatiques, en apparence incompréhensibles…

Or, l’intégration s’est toujours faite par les enfants, grâce à l’École de la République, mais rien dans les dispositifs législatifs et règlementaires ne vient inciter les migrants à faire leurs enfants en France. Au contraire, la France a supprimé en 1994, le droit du sol afin de ne plus régulariser les parents d’enfants nés sur notre territoire et les contraindre à, au moins, 10 ans de travail au noir. Quant à la nationalité étrangère affublée par la France à ces enfants, elle est fictive, car les pays « d’origine » (des parents !) ne les reconnaissent pas.

De même, la France envoie la police pourchasser préférentiellement les mariages mixtes marqués au sceau de « blanc » ou « gris » alors qu’elle devrait les encourager, car ils facilitent l’intégration. Même la circulaire du Ministère de l’intérieur du 28 novembre 2012 (dite « circulaire Valls ») a dévoyé la promesse de François Hollande en imposant 3 ans de scolarité révolus, ce qui interdit la régularisation en cinq ans à des étrangers qui auraient choisi de faire leurs enfants sur le sol français – alors que c’est pourtant notre intérêt.

La complicité active avec les dictatures

De même que les causes du niveau des migrations sont à chercher non pas dans la politique franco-française, mais dans l’état du (reste du) Monde, de même il faut sortir de notre petit hexagone pour peser les implications de nos choix paranoïaques.

Or une « mesure d’éloignement », pour parler la novlangue de l’administration et malheureusement aussi des juristes puisque c’est le terme inscrit dans le Code des étrangers (Ceséda), ne ressemble que de très loin à un voyage de retour. La plupart sont réalisées contre la volonté de l’intéressé qui est ainsi contraint, entravé, étouffé – aux limites de la fibrillation cardiaque – afin de l’empêcher de crier. Lorsqu’il arrive vivant au terminus, le pire l’attend parfois : il est remis à la police du seul État dans lequel il ne devait pas séjourner. Lorsque par exemple, la police de Manuel Valls remet un militant Saharaoui à la police du Maroc, ce qui va lui arriver n’est malheureusement que trop prévisible, de même lorsque en plein génocide Tamoul celle de Sarkozy remet à la police de Sri Lanka, un Tamoul qui nous racontait – sans l’ombre d’une preuve – que sa famille a disparue, etc…

Ces cas ne sont pas des exemples isolés, leurs semblables abondent dans toutes les zones troublées. Ils sont le sujet d’une diplomatie parallèle, plus obscure, mais plus prégnante que celle du ministère des affaires étrangères : celle de l’Intérieur, qui a conduit les ministres éponymes à multiplier les voyages et les accords bilatéraux de containement des migrants dit : accords de « gestion concertée des flux migratoires » , notamment avec les États du sud de la méditerranée comme la Tunisie de Ben Ali, la Libye de Khaddafi et a négocier avec les États dit « peu coopératifs » c’est-à-dire peu enclin à ré-accepter leurs ressortissants expulsés.

Il faudrait, à l’inverse, ne pas craindre de s’interroger sur les raisons qui poussent certains États à vouloir tellement récupérer leurs ressortissants…

C’est ces accointances avec les services de Police de ces pays qui amènent le ministère de l’Intérieur non seulement à assurer le courtage et la formation aux matériels et techniques de répression de manifestations pacifiques, mais aussi à assurer la fourniture et SAV de technologies de surveillance des populations et notamment la vente à la demande de Khaddafi du système Eagle d’Amesys, filiale alors d’une entreprise publique : Bull avec supervision du Ministre en personne (sic) mais aussi à former et équiper la police du Bahreïn8 qui réprime la contestation démocratique du régime depuis le début du « printemps arabe »…

Post scriptum

Certains penseront peut-être que je prône la suppression des frontières : il n’en est rien.
Je demande simplement qu’on n’expulse pas les étrangers établis sur notre territoire, qu’on leurs permette d’y vivre dignement et qu’on assouplisse la délivrance des visas en particulier pour les pays en guerre ou dont les ressortissants sont susceptibles d’être l’objet d’exactions.

Est-ce déraisonnable ?
Non ! C’est même notre intérêt démographique et économique (j’y reviendrai).

@Emaux (11 octobre 2013)

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(1) Cette incertitude apparaît lorsqu’on compare les chiffres de l’Insee, de l’Ined et d’Eurostat
(2) On notera que la France – populistes en tête – ne s’est jamais dotée des moyens de lutter contre le travail au noir, avec seulement 1000 inspecteurs du travail pour tout le territoire…

(3) 2011 : Dernière année où l’on dispose d’une telle analyse

(4) AGDREF = Application de Gestion des Dossiers de Résidents Etrangers en France

(5) Rappelons aux Français oublieux de leur Histoire comme de leur langue que les camps qui sont dispersés sur leur territoire depuis le début du XXe et qui, pour des raisons diverses (à l’image du Camp Joffre de Rivesaltes), visent à regrouper des hommes en un centre = concentrer, s’appellent fort logiquement en bon français des « camps de concentration », qu’il ne faut pas confondre avec les camps d’extermination de la 2e guerre mondiale, en l’occurrence absent du territoire français.

Seul le remplacement des miradors par des caméras de vidéosurveillance en a sensiblement changé la physionomie.

Franciscains de Toulouse > Cra de Cornebarrieu

(6) En vertu du principe de non-contradiction – principe inconnu des politiques…
(7) Du fait du chômage dans le secteur du bâtiment provoquant l’effondrement du travail temporaire (intérimaire)

(8) Pour en savoir plus sur ce charmant État, dont le roi est reçu par le président Hollande avec tous les égards, voici comment les journalistes de France24 sont accueillis en retour…

Comment l’extrême-droite pollue les réseaux sociaux

On sait qu’aussi loin qu’on remonte, l’extrême-droite fait un abcès de fixation sur l’immigration. Les immigrés en particulier fraîchement arrivés sont désignés comme responsables de tous les problèmes socio-économiques que rencontre l’Europe vieillissante. En France, les lois Pasqua, en abrogeant le droit du sol, ont supprimé la voie naturelle d’intégration qui fertilisait le creuset français. Elles ont créé un échelon nouveau à la base du système de caste français, celui « d’étranger en situation irrégulière », c’est-à-dire dépourvu de droit au travail déclaré et par conséquent à toute la protection sociale dont il constitue le socle.

Le règne de Nicolas Sarkozy – en tant que ministre de l’intérieur et président de la République – a vu une accumulation obsessionnelle d’amendements au Code des étrangers (Ceséda) visant à maintenir un stock toujours plus important de « sans droits ». La motivation permanente de cet empilement de « lois » était de fermer autant que possible les voies, dites de régularisation et donc d’accès aux droits accordés aux étrangers « réguliers ». L’objectif collatéral était de dessaisir les magistrats du pouvoir de statuer sur ces situations, pour le transmettre au pouvoir discrétionnaire des préfets.

Le pouvoir des mots

Afin de se laver de toute culpabilité de réinstaurer un quasi-esclavagisme, la Droite a forgé le terme de « clandestin » et effectivement le « travail dissimulé » auquel ces étrangers sont confinés par le Ceséda donne-t-il corps à la fiction de « délinquants » venus furtivement « voler le travail des Français »… Fiction gravée dans la loi et c’était même jusqu’à décembre 2012 le simple maintien sur le territoire national qui était pénalisé…

Cette fiction s’inscrit dans le paradigme « intellectuel » que les économistes ont identifiés comme malthusianisme et qui nourrit la croyance de « Café du Commerce » que l’économie nationale ne pourrait supporter l’arrivée de nouveaux migrants, en particulier en période de chômage de masse…

https://twitter.com/Chris5238/status/191232412590682112
Exemple de paradigme malthusien

Et l’on se souvient que le gouvernement de Vichy justifiait l’enfermement, notamment des Juifs, par la mention « en surnombre dans l’économie nationale ».

En surnombre pour l'économie nationale
Motif d’internement dans les camps en 1941

Mais mon objet n’est pas aujourd’hui d’analyser la concrétion d’inepties qui constituent cette idéologie : j’y reviendrai ultérieurement…

L’invention des « Sans-papiers »

À l’opposé, la Gauche, soucieuse de démontrer le caractère formel des justifications à ce statut de paria, a forgé le mot de « Sans-papiers », qui les réintègre parmi les « Sans » : sans droits, sans capital, sans domicile, etc – avec un certain « succès » puisqu’il a même traversé nos frontières pour être utilisé dans de nombreuses langues…

Jusqu’à l’automne 2011, ce mot, abhorré par l’extrême-droite, était systématiquement évité par elle et remplacé par celui de « clandestin ». Le site fdesouche.com était caractéristique à cet égard puisqu’il expurgeait de cette mention toutes les brèves relatives à l’immigration pour les recouvrir de l’opprobre attaché au mot « clandestin ».

Le résultat de ce scotome était que chaque bord œuvrait à son combat séparément, entretenant la schizophrénie de l’opinion publique pour laquelle, à l’opposé des « mauvais étrangers » qui s’immisçait pour dérober le travail des « bons Français », subsistaient les « bons étrangers » qui travaillaient durs aux emplois dont les Français ne voulaient pas et que des politiciens cyniques et corrompus maintiennent « sans papiers » par pure démagogie électorale.

Changement de tactique à l’extrême-droite

C’est aux prémisses de la campagne de 2012 que les militants d’extrême-droite comprirent que leur phobie était contre-productive à leur propagande. Ils décidèrent de (ré)endosser le mot Sans-papiers pour mieux le salir.

https://twitter.com/olivierpaus/status/205365066088984576
Jeu de confusion des mots

Depuis des années, avec la complicité passive de la Presse, tous les articles relatifs à l’immigration sont souillés de commentaires mensongers, par une poignée de militants d’extrême-droite – ce avec un résultat certain.

Les réseaux sociaux, chaque jour plus prégnants, connaissent dorénavant le même sort… C’est ainsi en particulier que Twitter, dont on sait que le lectorat est nettement à gauche, est soumis à une campagne de pollution massive et systématique depuis des mois.

Cette manipulation a commencé en 2011, notamment par des tweets relayant les mensonges habituels qui amalgament immigration et abus de protection sociale…

https://twitter.com/BrutalGrind/statuses/141515498239164416

… et simultanément par des « gags » dont le trait commun est le caractère dépréciatif associé au mot « sans-papiers » et, pour le résumer d’un mot, souvent : la bassesse.

https://twitter.com/_NathanRL/status/319916568551231488

https://twitter.com/_NathanRL/status/319916568551231488

Autre exemple de « gags » exploités jusqu’à la lie :
https://twitter.com/TAGGLE_BUBBLE/status/152896438194536448

https://twitter.com/TAGGLE_BUBBLE/status/152896438194536448

Afin de déguiser la véritable identité de ces tweets, cette campagne prend pour vecteur de faux comptes, plus sophistiqués que ceux dit zombies, achetés et détectables par les services en ligne. Ces comptes en l’occurrence, sont censés être ceux d’adolescents – de préférence à la peau colorée.

https://twitter.com/Kid_Doudou/status/328993328320352256
https://twitter.com/Boomtance/status/328576519884648449

L’exotisme apparent cherche ici (par une polarisation négative) à nous éloigner le plus possible de la véritable origine, bien « blanche », de ces sources…

https://twitter.com/Alioune999/statuses/141985624835104770

Le gain à simuler le style ado réside en ce que les flux twitter des authentiques adolescents sont largement solipsistes (à l’instar de ce faux ci-dessus) : il est donc peu nécessaire de créer de (faux) dialogues, encore moins de trouver des liens externes à recommander, car ces deux traits, d’un usage plus mature exigeraient plus d’élaboration, serait alors coûteux et plus facilement détectable.
Il est ainsi beaucoup plus facile de débiter des tweets et d’autant plus facilement que l’orthographe en sera – plus ou moins délibérément – « explosée »…

https://twitter.com/swagg_fou/statuses/321359800044769281

Au demeurant, il n’est pas possible de produire des centaines de retweet sans attirer l’attention et, par exemple le tweet ci-dessus, œuvre d’un parfait inconnu, mais retweeté 52 fois (et placé 6 fois en favori !) le rend hautement suspect (même si sa puissance poétique confine au génie ;-).

De même la salve de retweets ci-dessous – à moins d’une minute d’écart parfois – est parfaitement artificielle ; seuls, des évènements exceptionnels peuvent produire pareil train de tweets… C’est en l’occurrence pour moi l’œuvre d’une poignée de militants « amateurs »…

Salve de retweets

C’est pourquoi les agences – car, il ne fait aucun doute pour moi qu’une agence est aussi derrière une partie substantielle de cette campagne – préfèrent user de clones de tweets quasi-identiques émis sur des comptes différents et selon un ordonnancement temporel moins mécanique… Pour démontrer mon propos, j’ai collationné une toute petite, mais déjà bien indigeste anthologie où l’on retrouve quelques-uns de ces tweets classés par souche avec un échantillonnage de clones produits. Agrégés, ces exemples révèlent l’orchestration puisque une multitude de tweets censés être œuvre individuelle dérivent du même modèle parfois même sans variation.

Voici un exemple de clone (sans RT, donc) de la même souche que celui cité plus haut, d’@Alioune999 (et émis le même jour mais à presque 10h d’écart) :
https://twitter.com/FranckObOw/statuses/141662959561744386

https://twitter.com/FranckObOw/statuses/141662959561744386

Autre exemple d’une matrice exploitée depuis 20 mois avec de nombreuses et substantielles variantes… :
https://twitter.com/LiliaNeverson/statuses/321367226567512064

https://twitter.com/LiliaNeverson/statuses/321367226567512064

Le compte @LiliaNeverson initialement s’intitulait Scarlette mais présentait déjà en fond un bébé en Hijab… Depuis, il a été renommé AlgeriHaine : l’inconscient parle de lui-même ! (on notera que le faux-compte @onloxe93 intitulé « ¡ jmen fou de ouf ! » est devenu privé depuis la copie d’écran ci-dessus : voir ci-dessous. Il ne peut plus servir jusqu’à nouvel ordre à la campagne, mais est ainsi protégé d’une inspection et d’une suppression par Twitter…)

On constatera que l’immense majorité des tweets restent en apparence politiquement neutre. La leçon a été tirée de ce que les manifestations d’extrémisme se disqualifient d’elles-mêmes, comme ce tweet :
https://twitter.com/CercleVoltaire/status/222638546551451648

https://twitter.com/CercleVoltaire/status/222638546551451648

Leçon qui fonde la stratégie de « dédiabolisation » du Front National et que seul, l’arrivisme de Frigide Barjot ruine en affranchissant les néonazis que Marine LePen « cachait dans des caves » – pour reprendre l’expression d’un connaisseur : Alain Soral !

Mais le Front National n’est jamais loin :
https://twitter.com/EmmaKT1/status/317363842344701953

https://twitter.com/EmmaKT1/status/317363842344701953
https://twitter.com/hamid574/status/203274615580147712

Notamment dans ce tweet aux 78 retweets ! :
https://twitter.com/QuentinWrt/status/331417776080171008

https://twitter.com/QuentinWrt/status/331417776080171008

Le racisme non plus ! (compte qui s’appelait « Nium Nium », il y a encore 3 jours…) :
https://twitter.com/MOOUSKOS/status/315941548191784960

https://twitter.com/MOOUSKOS/status/315941548191784960

Mais, me direz-vous, puisque ces tweets sont neutres, quelle preuve avez-vous qu’ils s’originent eux aussi dans l’extrême-droite ?

Formellement : aucune. Ce n’est qu’une intuition fondée sur un faisceau convergeant d’indices…
1. La synchronie entre l’apparition des tweets identifiables comme d’extrême-droite et le début du train de pollution à la fin septembre 2011.
2. Les salves de retweet de lepenistes, à l’instar de celui, cité plus haut et qui trahit une campagne menée aussi par des militants du FN
2. La « couleur noire » des comptes « pollueurs » ou/et avec des noms à consonance musulmane

3. La connotation systématiquement dépréciative de ces tweets
4. Le registre « colonial » de mots récurrents d’insulte comme « blédard »
https://twitter.com/_Awaa/status/329010546512916480

https://twitter.com/_Awaa/status/329010546512916480

5. Le « parfum » des photos associées et des propos qui transpirent les rapports de domination notamment raciale, d’humiliation à connotation sexuelle (dérivant jusqu’à la pornographie) qui sont la marque de fabrique du fascisme et qui, en outre sont souvent incohérents avec les auteurs prétendus…

Exemple de faux-compte ouvertement pornographique qui ré-émet une variante d’une souche surexploitée et à parfum raciste :
https://twitter.com/Pornographeur/status/232551921251131392

https://twitter.com/Pornographeur/status/232551921251131392

Exemple d’un compte authentique relayant la propagande fasciste jusqu’à la caricature :
https://twitter.com/PatrickAceti

https://twitter.com/PatrickAceti
https://twitter.com/PatrickAceti/statuses/321572752639287297

Mais la force de cette campagne fétide – arrivant après 30 ans de propagande sécuritaire : de plan Vigipirate en « nettoyage au Kärcher » des gouvernements successifs et de leurs relais : les médias audio-visuels – c’est que de véritables ados peuvent se laisser entraîner à y participer sans avoir conscience d’être manipulés…
Et c’est aussi ce qui complique ma tâche de démasquage !

Tout ça pour quoi ?!

Au demeurant, on peut légitimement s’interroger sur l’efficacité d’une telle opération. Autant la pollution des articles de Presse est efficace parce qu’elle instille à tous les lecteurs des commentaires, le venin des mensonges concernant la prétendue délinquance des étrangers, autant la production de ces batteries de tweets n’affecte que ceux qui veulent bien les lirent – par exemple, parce qu’ils veillent #Sans-papiers, comme moi ;-)

Même si la porosité de Twitter – qui est une de ses plus grandes qualités – incline les noiseux et autres trolls à venir y déverser leurs excès bilieux, n’en sont troublés que ceux qui veulent bien « suivre » ces atrabilaires…
Si au temps de #Botzaris36, nous étions freinés par quelques fâcheux qui mettaient leur égo en travers de notre combat, ce n’est que parce que ce mot-dièse nous servait de canal de communication externe…

Mais pour ce qui nous concerne aujourd’hui : qui, est confronté à cette campagne de dénigrement des Sans-papiers, à part des convertis au fascisme de longue date comme les lecteurs d’fdesouche ?…  Pas beaucoup de monde ; il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le nombre dérisoire de suiveurs authentiques de ces pseudo-comptes…

@Emaux (17 mai 2013)

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#Botzaris36 : Bilan provisoire

Le liminaire de ma chronique du 21 juin 2011 est valable autant pour ce billet-là que pour celui-ci… 

Après l’évacuation manu militari des réfugiés tunisiens du 36, rue Botzaris le 16 juin 2011, commença une longue période riche en péripéties, mais pauvre en évènement. (Pour resituer : Chronologie des évènements

« Amitié » franco-tunisienne
  Les Tunisiens étaient à la rue et il était désormais exclu de reprendre Botzaris. Le gouvernement français faisait montre d’une grande nervosité à cet endroit : le moindre éternuement à proximité du bâtiment voyait débouler dans les minutes qui suivent, moult cars de CRS ou/et de gendarmes mobiles… 

  La suite du « printemps arabe » nous permettra de mieux appréhender le degré de complicité du pouvoir sarkozien avec le régime de Ben Ali et la phrase célèbre et ridicule de Michelle Alliot-Marie prendra un autre sens, non de publicité pour la production nationale de grenades lacrymogènes ou de canons à eau, mais d’offre de services informatiques approfondis (dpi) afin de neutraliser les opposants tant il est vrai que depuis la « bataille d’Alger », la France a fait de grand progrès dans la maîtrise des renseignements afférents à la torture.

 

Paris et le « printemps arabe »
  De l’autre côté les responsables politiques de la ville de Paris continuaient de nous ignorer méthodiquement. Et les députés locaux, après avoir su goûter dans le passé aux charmes de la Tunisie, semblaient maintenant être sourds à tout de ce qui arrivait au sud de la Méditerranée… 

  Seuls les fonctionnaires de la ville en charge des SDF assumeront leur mission au mieux, dans le contexte catastrophique – mais prévisible – de l’hébergement d’urgence sur l’Ile-de-France. Situation paroxystique qui provoqua la démission de Xavier Emmanuelli en signe de protestation. (cf aussi Libé1 et 2

 Or Paris présente la singularité – issue d’une longue histoire de rivalité avec l’État – de ne pas être maître de sa Police. Aussi, Guéant en serviteur zélé ne se priva pas d’envoyer des CRS à toute heure du jour et de la nuit, perpétrer dans les parcs de la ville, des ratonnades contre les réfugiés pour saper toute tentative d’accueil un tant soit peu digne et organisé. 

 

Naissance de la twittercitoyenneté
  Entre temps le noyau du collectif twitterrien qui s’était mobilisé début mai : @leclown @Menilmuche @MsTeshi @nmen00v @PFRunner  et votre serviteur, s’était enrichi de @joueurs @GillesMisrahi @ActionTun @Monta_TN @doxaa de Monya @PressFay @Ooouups @guellaty @_LamiaS @hajoura74 @AurelPepe @Paul_Da_Silva et de multiples autres citoyens que la porosité de Twitter amenait à s’impliquer et qu’il serait pratiquement impossible de citer tous. En effet, il n’était même pas nécessaire d’être inscrit sur Twitter pour pouvoir suivre notre action d’alors, il suffisait de suivre (furtivement) : #Botzaris36

 

 Ce thème (hashtag) #Botzaris36 fut ainsi durant plusieurs semaines l’un des plus actifs de l’aire francophone, si bien que la Presse s’en fit l’écho, mais qu’il nous fallut apprendre à contrôler les effets secondaires de cet outil. Car, si les élites au pouvoir en France sont largement constituées de vieux cons, la Police et plus encore la Gendarmerie maîtrisent les dernières technologies et il ne fallut pas longtemps pour que nous soyons « suivi » par @Place_Beauvau et @prefpolice !

  Dès lors, il fallait à chaque instant tourner les manifestations d’égo au service de la cause qui nous mouvait. Souvent, je m’abstins de twitter ou différai un tweet de plusieurs heures afin de neutraliser les effets en retour… Nous apprîmes aussi à user de messages directs (donc non publics) lorsque l’urgence le commandait (sans oublier les bons vieux SMS).

 

La quête des archives
  Pour autant, la Presse ne s’intéressa pas longtemps à Botzaris : au bout de quelques jours, le déploiement massif de force de Police acheva de convaincre que le gouvernement ferait tout pour empêcher de laisser fuiter tout document compromettant pour lui et ses amis. La quête des archives se déplaçait ailleurs…
Il ne restera ainsi que les témoignages précieux de journalistes, twitterriens de la première heure et présents dès les premiers mois : @draganreporter @MatMolard @mathieu_m @oliviertesquet @TiboChevillard @ejldaniel @guybirenbaum @farpatta @monnerais @LucasMalterre @joelgaly @yasmineryan
 Les archives inaccessibles, nous nous retrouvons bientôt seuls avec les réfugiés. Et pour l’heure, il nous faut répondre à des besoins d’hébergement, d’hygiène, d’alimentation, d’habillement, de soins et sécurité compliqués par leur statut de SDF. 

 

 

L’accueil d’urgence
 Or, en l’occurrence, aucun de nous n’avait de compétence dans la gestion des situations d’urgence, même si certains, avaient l’expérience de l’assistance aux droits des étrangers sans papiers. Mais les Sans-papiers sont des personnes autonomes, intégrées dans la société française, dotées d’un capital intellectuel et le plus souvent même matériel, à qui l’assistance serait superfétatoire si, en réponse au marasme économique, la démagogie politicienne ne les avait transformées en bouc-émissaire avec des conséquences sordides, honteuses et parfois tragiques. 

  Mais ici rien de tel, nous étions face à des jeunes dont la moyenne d’âge n’était pas loin de dix-huit ans, qui, certes avaient été les pionniers de la révolution tunisienne mais précisément parce que laissés pour compte parmi les laissés pour compte du régime benaliste. Seule la minorité (souvent venant de Tunis) la mieux appareillée se fondra en quelques mois dans la société française. Restaient « sur le carreau » en ce mois de juillet les plus fragiles… Ceux, peu ou pas francophones, dont le destin était au mieux de s’inscrire au rang le plus bas du système de castes de la société française, celui de nouveaux Sans-papiers, voués au joug de cette forme moderne d’esclavage durant au moins dix ans avant d’espérer pouvoir accéder à l’échelon immédiatement supérieur : celui de « main d’œuvre étrangère sans qualification ».

 

 Arrivés en France pour trouver du travail et majoritairement démunis de colonne vertébrale intellectuelle tout comme de tout capital matériel, ils étaient les jouets de puissants intérêts politiques dont certains armés de tout l’appareil policier que Nicolas Sarkozy pouvait mobiliser pour sa propagande médiatique… Aussi peut-on résumer d’un trait la situation par la rencontre de deux démunitions – la leur et la nôtre !…

 

 Face à nous, toute la politique gouvernementale semblait faite pour casser toute solidarité afin que règne l’anomie – engendrant algarades et rapines – et finalement opprobre, notamment de la part du voisinage. 

 

Les relations ambiguës avec les Tunisiens de France

   Je ne peux passer sous silence la relative faible présence – a priori surprenante – des nombreux Tunisiens d’Île-de-France, bien que je sois, naturellement, incompétent pour en parler. Aussi laisserais-je le soin à d’autres, plus autorisés, de l’analyser… Au demeurant celle-ci aggrava les difficultés, par comparaison avec la situation des Sans-papiers évoquée plus haut, à qui, en général, un réseau voire des proches offrent un ancrage…  

 

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Twitter : instrument d’interpellation publique
 Même si, grâce à @joueurs et @ActionTun un filet de secours alimentaire était assuré au groupe dont nous étions solidaires, notre démarche, au demeurant,  ne pouvait être réduite à de l’humanitaire pour lequel nous n’étions évidemment ni formés, ni outillés. Aussi avons-nous sollicité le concours d’Emmaüs – financé par le Conseil de Paris – ainsi que le soutien de l’Association Autremonde

 

 Nous étions plutôt des lanceurs d’alerte –  fonction pour laquelle Twitter est l’instrument idoine – cherchant à interpeler en particulier des Politiques. Nous étions aussi, plus prosaïquement, des relais et des témoins au quotidien.

 

  Certains Politiques n’ont, du reste, pas eu besoin de nous pour être là depuis le début comme Danielle Simonnet, du Parti de Gauche, présente dès le squat du 51, rue Simon-Bolivar. D’autres en revanche, ont répondu à nos sollicitations comme, en premier Pascal Terrasse qui posa une question écrite au Gouvernement (apparemment sans réponse). Puis ce fut au tour de Nicolas Dupont-Aignan qui visita Botzaris sans publicité et avec un certain courage, car ses positions radicales en matière d’immigration ne lui permettaient pas d’escompter un accueil confortable face à des migrants…  Il fut même question un temps que François Hollande vienne… sans suite. 

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  Il ne s’agissait pas dans le contexte de pénurie d’hébergement d’urgence, d’escompter obtenir pour eux un gîte conforme aux normes en vigueur, mais de dénoncer l’absurdité d’une réponse politique qui interdisait de trouver des solutions de remplacement…   

 

 

La fabrique à délinquants

  En effet, du point de vue « sécuritaire » (qui était celui que Nicolas Sarkozy était censé défendre), il eut été préférable de concentrer les réfugiés d’Île-de-France dans un département de la petite-couronne, de les héberger à l’aide de tentes, sur des aires propices à un contrôle policier en attendant de les renvoyer vers la Tunisie. Le coût de « l’hébergement » aurait été dérisoire en regard de la nuit d’hôtel à Paris et aurait compensé largement le montant de l’aide au retour nécessaire.  

 

   Or les ratonnades ont eues pour effet d’atomiser ces jeunes dans la banlieue notamment dans des squats où certains ont trouvé la mort et où d’autres ont basculé dans la délinquance. En outre, pour parachever cette « intégration forcée », l’Offi en charge de l’aide au retour volontaire de 2000€, a réduit arbitrairement pour eux son montant à 300€ : judicieuse initiative pour les inciter à rester sur le territoire national !… 

 

 

L’intégration à la mode Sarkozy

  Symétriquement, si le but recherché était « l’intégration républicaine » alors les ratonnades ne sont pas de nature à inspirer de la gratitude envers le pays d’accueil ! Quant à « l’employabilité » un « coup de pouce » par la formation professionnelle est plus efficace qu’un coup de tonfa !…

 

   On voit donc que de quelque point de vue que l’on se place, l’action du gouvernement était parfaitement incohérente, absurde, inefficace, coûteuse et de surcroît, d’un rendement médiatique douteux…  

 

 

Une épine dans la talonnette sarkozyste…

  C’est cette dernière constatation qui laisse supposer que le ressort profond du Président n’était pas simplement électoraliste et il restera bientôt à la charge des historiens d’expliquer pour quelles raisons il fallait à tout prix « faire disparaître » les réfugiés de la révolution tunisienne…

 

 

Epilogue
 Loin d’avoir disparus, nombre de ces réfugiés sont à l’heure où j’écris ces lignes, encore à Paris où ils dorment sous les ponts ; d’autres sévissent dorénavant dans le département de la Seine Saint-Denis…

 

 

@Emaux (27 novembre 2012)

 

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Expulsion programmée de M. Ou CHEN : un déni de justice

Le nouveau préfet de police de Paris choisit d’expulser Ou CHEN juste quelques heures à temps pour le priver de son droit à voir sa rétention examinée par le deuxième Juge des libertés et de la détention (JLD). Ce dernier, en effet, aurait été obligé de prononcer sa libération devant le peu de diligence que la préfecture mettait à éxécuter une expulsion qu’elle avait le loisir de mettre en œuvre depuis 20 jours…

On voit ainsi combien un préfet « de gauche » témoigne aussi peu qu’un préfet sarkozyste du souci de minimiser la privation de liberté – même après que la Cour de cassation a rappelé que la seule absence de titre de séjour ne pouvait être un motif de détention.

Les bons esprits m’objecteront que la rétention n’est pas la détention et, en effet, un caractère les distingue.

Pétition pour la libération de M. CHEN

pour le contexte : lire mon billet précédant

Mise à jour : M. Ou CHEN a été expulsé par avion vers l’Italie, le 20 juillet à 8h du matin…

 

@Emaux (19 juillet 2012)

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